#photofictions #04 | disparaître

c’est un dispositif (une supercherie) sur un podium à environ quarante centimètres du sol devant un rideau de velours elle est assise le buste impeccablement droit la poitrine affleure sous l’imprimé au motif de damier disposé obliquement l’épaule gauche penche plus que l’autre et la main celle de gauche semble aussi plus petite les bras reposent sur les accoudoirs d’un fauteuil qu’on devine sous une couverture de laine écossaise deux mains aux doigts longilignes elles pendent l’élégance de ces mains manucurées (un vernis opalin c’est possible presque mat c’est une idée que l’on a sans voir avec précision ce détail une idée qui vient à cause des escarpins noirs d'une élégance sobre) la finesse des jambes émergeant à hauteur des genoux pudiquement recouverts par le bas de la robe l'échancrure du soulier il souligne la délicatesse du pied et l’immobilité statuaire du corps dans cette robe qui la drape.  
« Les spectateurs ne peuvent pas voir la tête de la femme cependant, ils ont l’impression qu’ils peuvent voir que la femme n’a pas de tête. Les spectateurs peuvent en conclure que la femme n’a effectivement pas de tête » 
(Diane Arbus Headless woman, N.Y.C., 1961)

… pour la semaine si tu peux me remplacer elle a dit en plus ici ils ne demandent pas les papiers — et rester immobile — tous les trois quart d’heure il y a pause cinq minutes dans le sas avec celles de l’effeuillage fumer et boire un café ou de l’eau, elle a dit — la cagoule pue combien encore ? de temps — et ce fil sur ma langue j’ai la bouche sèche — quelqu’un a crié… — tout à l’heure et comme le bruit d’un corps qui tombe — combien de temps — arrête ton boniment arrête toi de parler sinon c’est moi qui vais crier — j’étouffe — au coup de gong tu lèves la droite c’est l’effet qu’ils attendent ils croient qu’on les dupes ils aiment y croire : « un mannequin, t’as vu ! c’est rien que ça du faux  » Faut les entendre —j’ai le visage en feu— quand ça bouge, (ta main) ils sont saisis — ce cri — faut les entendre— ce cri de quelqu’un quand je lève la main ( mon cri quand il l’a secouée et l’enfouir sous la capuche la serrer contre moi courir disparaitre avec l’enfant dans la nuit ) ici on risque pas de te trouver et ils payent cash elle a dit … ici elle a dit on ne te demande pas qui tu es tu peux te fondre : disparaitre


			

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

16 commentaires à propos de “#photofictions #04 | disparaître”

  1. très sensibles ce que l’enfermement (la cagoule – l’immobilité )- imposent comme une mise aux aguets – une attention sensorielle accrue à l’environnement devenue menace… Prenant.

  2. La pose. L’immobilité peuplée et douloureuse, jusqu’à disparition. Merci Nathalie pour ce texte envoûtant. Merci aussi pour Diane Arbus.

  3. Étrange sensation de lecteur. Donc nouvelle, donc rare. Étrange sensation d’immobilité capturée dans une photo. Merci Nathalie.

  4. Très étonnant ton texte. Je le lis en me souvenant que tu as posé à la grande chaumière (tu le disais dans une bio précédente°. Le titre aussi que tu lui as donné « Disparaître ». S’exposer pour disparaître. Il y a qqch de profondément toi dans Diane Arbus …qui n’apparaît pas encore au plein jour. C’est sans doute plus difficile avec des mots qu’avec des photos.

  5. (je suis bien d’accord avec DGL) (y être tout en n’y étant pas : j’ai l’impression que c’est (aussi) la place de l’opérateur.e) (on a l’impression de voir la photo – cette image sans tête – où il n’y a rien à voir : j’adore)

  6. La parenthèse du début (une supercherie) a guidé ma lecture… a jeté sans doute en moi le ferment d’un malaise : je me sens guigneur… guindé ? et pour cela, j’ai besoin d’être guidé ? Mais je relis ce que j’ai écrit au début « la parenthèse du début (une supercherie) a guidé ma lecture », j’y découvre le double sens possible, la spire d’un vertige décuplé s’ouvre alors…

  7. je ne suis pas sûre d’avoir tout compris du dispositif, mais une chose est sûre, il se dégage souvent quelque chose de singulier dans tes textes, une force unique qui frappe bouscule
    et là, la pose avec cagoule, le cri, le cri qui se répète (on a envie de dire : non, arrêtez !), l’argent, cette phrase finale jusqu’à disparaître
    merci Nat

  8. Superbe la façon dont le deuxième texte, en réécrivant le premier, le défie jusqu’à son annulation. On veut une proposition « Diane Arbus » venant de toi !

  9. La ponctuation par tiret – renforce la voix intérieure de cette femme à la présence déterminée mais contrainte. La partie du dispositif renvoie parfaitement à l’objectivité de la pose du corps ou d’une photo (confusion). Belle captation.

  10. Nat, as-tu lu Une vie à soi de Laurence Tardieu ? Je voulais te le demander au zoom en commentaire.
    Magnifique, ce que tu tires de cela ! On découvre, on comprend tout et on étouffe ! Peu de mots, mais le personnage prend vie en même temps que tu explores le mouvement. Merci.

  11. Jacques, Fil, Ugo, Jean-Luc, Danièle, Piero, Philippe, Françoise, Helena, Nolwenn, Anne, Merci de vos retours précieux

  12. Nathalie c’est très impressionnant, les deux textes forment deux aimants qui refusent de coopérer, tanguent et se repoussent, et pourtant… l’encastrement de l’ensemble, l’effacement de la tête, la pensée qu’on lui refuse, la quête du non être à l’autre qui cogne et désespère, la fugue comme unique territoire de survie,
    les jambes heureusement
    tiennent tête

    • Merci chère Françoise pour ton commentaire ( les jambes tiennent tête on essaye) et pour tes « voies vers la ville » et pour la voix de tes textes : leur force