#Eté2023 #02Bis Rue Guillon Lethière

J’aurais pu tout aussi bien être projetée par un ouragan hors des côtes de l’Afrique de l’ouest pour arriver, pile, dans la case de ma mère, bordée de sandragon, de verveine blanche, de citronnelle et d’aloe vera. J’aurais 4 ans et ma soeur se moquerait de moi parce que j’aurais mis dans ma culotte (seulement parce que je n’avais pas de poche ni aucun autre vêtement) la poignée de prunes café que j’aurais volé chez Ambroisine. Comme dans les veillées où le diable donne un coup de pied dans les fesses du conteur pour l’envoyer d’abord sur la lune et puis là juste devant nous pour choisir de croire ou de ne pas croire son histoire, un autre ouragan tout aussi puissant m’aurais envoyé, toute grande, en France, dans un métro, avec ma tête appuyé sur la vitre, l’air triste parce que tellement seule. J’aurais ma grosse valise noire et usée et tellement lourde à traîner jusqu’en haut des escaliers de la station et je marcherais jusqu’à la rue Guillaume Guillon Lethière.

Des plaques de couleurs découpaient l’espace blanc du hall d’entrée de l’hôtel. Le jaune d’œuf d’un mur troué en son milieu, en forme d’arcade pour donner à voir deux petites tables rondes et noires, nues et leur deux chaises assorties pour le petit-déjeuner. Le rouge pour le mur du fond devant lequel je me tiendrai dans quelques heures avec un sourire fabriqué. Le bleu-ciel-laqué pour sertir le haut du comptoir en bois sur lequel était posé le téléphone, le registre, des verres, des olives vertes et des liqueurs. Le tabouret haut sur le linoléum couleur bois, n’aurait pas du être devant le comptoir, tout comme le piano automate en face de l’escalier gris qui menait aux chambres. L’hôtel n’avait pas le standing pour offrir la musique baroque d’un pianiste fantôme. Le tabouret haut, esseulé devant un comptoir qui faisait bar la nuit, était du plus mauvais goût. Les plaques de couleurs criardes contrastaient avec les pavés mouillés et les façades sombres de la rue Guillaume Guillon-Lethière, que j’appelais moi, rue des putes.

J’avais depuis, puisque le temps avait passé, avalé les deux ouragans. Je savais qu’ils voulaient sortir parce que depuis quelque mois je mordais mes lèvres pour ne pas hurler.

A propos de Gilda Gonfier

Conteuse, paysanne, sauvage. Voir son site 365 oracles.

7 commentaires à propos de “#Eté2023 #02Bis Rue Guillon Lethière”

    • Merci Anne. Je me suis promenée sur les traces de votre blog. Joli univers qui appelle à la contemplation.

  1. J’aurais aimée être prise par le premier ouragan… mais la conteuse même en dépréciant l’endroit rend si bien l’aspect de l’hôtel où sommes déposés par le second.
    Sensations

    • C’est très juste Brigitte. J’aurais du traiter la case et la station de métro avec autant de détail pas forcément les mêmes (les couleurs) que l’hôtel. Première fois que je fais cet atelier et j’apprends tellement. Merci 🙂

  2. Quelle désinvolture dans l’écriture ! Qui dit juste ce qu’il faut et le dit si bien. Merci pour ces deux textes, Gilda !

    • Merci pour le commentaire Helena. Je tâtonne, j’explore, j’expérimente…

  3. Que j’aime ces deux ouragans…et c’est fou comme cet avant-texte et la clausule donnent du relief à ton personnage.