# Techniques #07| Quand ça glisse trop vite

Un écrivain peut faire semblant de tout, mais est-il  encore un écrivain s’il ne tient pas son semblant pour rien?  N’en va-t-il pas de même de l’amour ?»

BERNARD NOËL Le 19 octobre 1977 – textes – Flammarion

écrire pour glisser

Bernard Noël a glissé d’un livre à l’autre, d’un texte à l’autre, d’un mot à l’autre, il a kiffé les dictionnaires, ces livres fous pour fous de sens, il n’a pas pu s’en empêcher. Quand c’était trop dur, il a cessé d’écrire. Du tout au rien. Il a parcouru sa propre pente en souriant.  Il nous laisse tout ou presque. Il a glissé dans la lumière blanche du néant hypothétique , mais son regard est encore visible. Ses yeux n’ont jamais chômé, ils ont glissé d’un visage à l’autre, peut-être d’un mirage à l’autre. Il n’y a pas eu de miracle, tout était déjà contenu dans l’enfance. Le reste n’a été qu’étonnements et  Il a voulu conjuguer tous les pronoms de la langue maternelle. Il a eu du mal avec le « nous », mais il a glissé dans l’amitié avec conviction et  parfois inquiétude (on les perd tous et toutes n’est-ce pas ?), il  est parfois tombé de haut, certains mots glissés dans son  oreille ou l’abus de certains silences l’ont blessé, il a archivé, il a glissé hors de l’amertume, il a continué à accueillir la parole de l’Autre, dans le tout-venant, glissant d’une parole à l’autre, d’une écoute à l’autre, quand on aime on ne compte pas… Il n’a pas vu le temps s’écrouler sous la voûte de son crâne, il  disait :

J’écris sur la pente d’une prairie

Attention, tu vas attraper un rhume

je cours

l’air est vide sans danger

tout à coup une buée blanche

trop tard, ma tête dedans

et le rhume dans ma tête

Et moi je glisse d’un paragraphe à l’autre.  Je joue à glisser plus vite entre les mots. L’exercice m’amuse.

Vous êtes malade

Non, j’étais fou.

C’est une maladie comme une autre.

Je ne m’en plains pas.

BERNARD NOËL |   Le 19 octobre 1977 – textes – Flammarion (c)

La glissade dans les images et les mots est comme une cavalcade. Une chevauchée fantasque. Chaque glissade aérienne dans les mots permet de changer d’air. Ce n’est pas toujours réussi mais ça console un peu de ne rien pouvoir ralentir dans les pensées du jour.

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.