vers un écrire/film #02 | décortiquer une minute de film, Raymond Bellour

l’atelier hebdo et permanent de Tiers Livre


 


 sommaire du cycle « vers un écrire film »
 télécharger la fiche d’appui et les extraits dans le dossier ressources du Patreon ;
 sommaire général des cycles & ateliers

 

vers un écrire/film #02 | décortiquer une minute de film, Raymond Bellour


Cette vidéo propose :
 la notion d’ekphrasis, « discours descriptif qui met sous les yeux de manière vivace le sujet qu’il évoque » est déjà un genre en soi dans l’Antiquité, avant que le sens dominant évolue en « représentation verbale d’un objet artistique », qu’on retrouvera de Diderot à Élie Faure ;

 on n’est pas pour autant dans l’ordre du discours, du réflexif, du critique : au contraire, en s’appuyant sur l’idée d’ekphrasis, c’est bien cette idée du texte confronté le plus directement possible à l’image qu’on cherche, comme on retirait autrefois une décalcomanie... l’idée quasi symétrique du texte qui mime l’image, et du texte qui reconstruit verbalement l’image en son absence (voire disparition) ;

 il n’en reste pas moins — et c’est ce qui nous intéresse — qu’aucune objectivité ne sera pour autant associée à cette construction textuelle : il y des exercices en ce sens dans le Uncreative Writing de Kenneth Goldsmith (ma traduction en 2018 chez JBE : L’écriture sans écriture), Kenny faisant travailler ses étudiants sur des transcriptions en temps réel d’un talk-show télévisé : autant de transcriptions que d’individualités, c’est bien d’une amplification de nos façons personnelles d’écrire qu’il est question, de cheminer chacun vers sa singularité pour la qualifier mieux, la débusquer, en se confrontant à un objet-image né de l’invention d’un.e autre ;

 et donc, ce qui m’importe : que cet objet soit borné, comme saisi à la pipette du chimiste dans le grand continuum d’un film, et transporté sur notre paillasse de laboratoire d’écriture (ô la rencontre sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie immortellement lancée par Lautréamont !)... au début, en macérant cet exercice, je pensais à une durée de 3 minutes : mais ça manque d’arrachement, ça manque, allons jusqu’au bout, de violence… ce sera donc 1 minute, 1 minute seulement, 1 minute chrono, mais toute une minute...

 important : ce qu’il y a avant, ce qu’il y a après, on n’en sait rien... deux blancs, comme un champ opératoire, juste un fragment de temps, et même pas besoin de citer la source, ça peut même entrer dans la consigne : si on ne sait pas d’où ça vient, le rapport que nous aurons au texte sera démultiplié...

 enjeu : dans le rapport de l’écriture à l’image (l’image sur les tablettes d’argile a précédé l’apparition de l’écriture), jusqu’à la fin du XIXe siècle et même la transition de la peinture à la photographie, l’ekphrasis décalquait et reconstruisait (avec parfois de merveilleuses prouesses, ou un vertigineux glissement à la fiction, comme dans Le chef d’oeuvre absolu de Balzac, ou L’oeuvre de Zola) une image fixe, ou, au mieux, la genèse et l’élaboration, le temps du peintre et non la peinture même, de l’oeuvre même...

 on retrouve cette problématique, à l’envers, dans les peintures de Hopper avec des intérieurs de cinéma : comment l’image fixe que devient la peinture peut représenter ce qu’il y a de mobile sur l’écran ? cela fait partie des petites lampes d’alerte que je veux disposer autour de cet exercice (voir ces toiles ici sur Tiers Livre...

 alors maintenant, le choix... seule façon que l’exercice soit à la hauteur, c’est d’éviter de se jeter à l’eau (l’eau du texte, tu es sûr ?) tout de suite... laisser plutôt la part inconsciente de chacun rapporter progressivement le fragment lacunaire, que vous ayez la possibilité de le revoir ou pas, que vous travaillez avec la minute de film sur l’écran ou uniquement depuis votre propre mémoire, déformante, vague, partielle vous imposer votre sujet parmi les milliers de séquences que chaque vie emmagasine...

 c’est bien pour vous faire perdre du temps, indépendamment des 30 minutes prises à regarder la vidéo ci-dessus, que je vous ai incité à un visionnage du légendaire Film de Samuel Beckett, avec Buster Keaton... vous le trouverez aisément (à nouveau Kenneth Goldsmith !) sur le non moins légendaire Ubu Web (profitez sinon pour découvrir ! hébergé au Mexique, le site de Kenny, lancé en 1997 comme mon propre site n’est pas astreint aux copyrights).

Alors maintenant, comment s’y prendre ? deux pistes à juxtaposer, encore la métaphore de la décalcomanie...

 un monument de la pensée cinématographique, c’est la somme rassemblée par Raymond Bellour chez POL, ici le plus récent : Le corps du cinéma, 2009 — voir site POL pour vue d’ensemble ; Raymond Bellour fut une des personnes les plus proches d’Henri Michaux, et, comme lui parle d’un « entre-images », pas d’oeuvre où le littéraire résonne autant dans l’approche filmique... j’ai isolé, et vous les retrouverez dans nos fiches jointes habituelles, deux ekphrasis de Raymond Bellour, dont l’une justement parce qu’il s’agit, à partir d’un film de Rossellini (mais rappel : vous, vous n’aurez pas le droit de citer votre source... ce qui vous autorise aussi le film fictif, mais ça on y reviendra !), s’applique précisément à une séquence durant 1’03 du film... l’autre passage, même principe, sur une séquence prise à Ordet de l’immense Dreier...

 et puis la contrainte syntaxique | pour mettre les syntagmes à égalité | pour mimer aussi bien les variations de cadre que les cuts de montage | et le visuel et les visages | ou les paroles (mais on incite à couper le son, ce sera les exercices suivants, ne s’occuper que de l’image et pas des dialogues) ou les indications et sous-titres je ne sais pas | et si vous ne savez pas où trouver la barre verticale sur votre ordi demandez sur Facebook | mais c’est la première fois que je propose cette forme | pourtant devenue courante même si récente | la barre verticale comme seul signe diacritique et voir ce que ça change | dans le rythme comme dans la présence visuelle du texte | et s’il vous plaît gémit-il d’avoir l’obligeance d’essayer et si tenir | façon aussi de faire dialoguer toutes les contributions

Voici donc. Le thème : une minute de film, mais attention, veiller à laisser passer du temps avant le choix, que cette minute ce soit vous qu’elle interroge, qu’elle creuse à l’envers votre écriture et votre univers. La durée déterminée mais la source non-déterminée : chronométrer vraiment à une minute le fragment source, et s’interdire de nommer cette source. La consigne : un seul bloc, minute bloc (pas d’entracte que serait la coupe de paragraphe) mais l’utilisation exclusive de la barre verticale de votre clavier | elle existe (option maj sur Mac) ] et maintenant vous souhaiter de bonnes écritures...

Très curieux et même excité comme disent les US, de là où ainsi on s’aventure.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 16 janvier 2022
merci aux 282 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page