
Frédéric Pouzol, libraire à Saint-Léonard de Noblat [1] [2], m’avait prévenu : « Il est grand, le cimetière... » La ville, elle, n’est pas grande, mais ici le passé prend beaucoup de place. C’était la fin de journée, une de nos premières journées d’un printemps violent, chaud, éclairé, lumière rasante. Le cimetière est sur le haut du plateau, on voit tout alentour, la ville et les collines. Il était 18h50. Un moment j’ai demandé à une dame, qui entretenait la tombe de « mon cher compagnon, il m’en avait parlé de ce monsieur, oui – il écrivait des livres ? », son chien couché auprès, mais de Gilles Deleuze elle ne connaissait ni le nom ni l’emplacement, nous étions les seuls dans le cimetière, elle, moi, son chien, a voulu m’orienter vers Poulidor. « Il avait un château, ce monsieur... » Je lui ai dit que non, que je doutais que les châteaux de Deleuze ici-bas aient eu parc et tourelles...
Dans ses cours non plus, en 1980, 1981, quand je les suivais à Paris 8, ce n’était pas facile de le rencontrer, Gilles Deleuze, qui nous parlait de Leibniz. Ses grands ongles qui coupaient l’air, la mèche grise, et ces étudiants qui buvaient à dix centimètres la parole du maître, hérissant la table de magnéto-cassettes qui débrayaient tous en même temps à la quarante-cinquième minute. Moi j’étais au fond, avec un ami australien qui suivait comme moi les cours sur la Logique de Hegel. Rien à voir avec l’ambiance chaleureuse de François Châtelet, habillé noir anar, ses contes et ses fables de haute rhétorique, ou l’austérité de Lyotard qui nous tenait parfois quatre heures d’affilée.
Mais les livres de Deleuze, aujourd’hui, sont toujours auprès de la table. Et peut-être les plus minces, celui sur Kafka (Pour une littérature mineure), celui sur Proust (Proust et les signes), j’y suis le plus attaché. De même, c’est dans ses deux tomes sur le cinéma (L’image temps) que j’ai trouvé l’outil le plus pertinent pour ma compréhension théorique de l’atelier d’écriture.
Alors, où, la tombe de Deleuze, quand nulle indication ne vous est livrée, qu’on se donne un algorithme pour parcourir croit-on la totalité des allées ? Ou alors cette simple dalle sans nom et sans date, qui lui ressemblerait tant, peut-être, comme symbole du passant, qui n’aura légué que sa parole ?
De 18h50 à 19h20, qu’il a fallu partir, j’ai parcouru le cimetière de Saint-Léonard de Noblat. Je n’ai pas trouvé Gilles Deleuze [3]. J’ai partagé avec lui cependant cette chaleur rayonnant du granit et des cailloux, et le ciel pour nous tous. Finalement, en marchant, c’est les livres qui revenaient, plis et plateaux, les figures, temps et mouvement : alors tant mieux. C’était peut-être encore une de ses leçons, avec cette espèce de drôle de sourire triste : chemin, parcours, quête, puis repartir, et que c’est le manque, qu’on a rendu plus fort, plus présent. On pensait au dernier instant, à la fenêtre : ultime monade – puisque la fenêtre était une de ses métaphores, pour nous expliquer Leibniz. Hommes sans dieu, qui nous agrandissent par là : il était normal qu’ici il se retranche, ne souhaite pas recevoir. Paix [4].
[2] et nul doute que mes nouveaux amis de Saint-Léonard m’enverront l’image de cette tombe, que je n’ai pu trouver
[3] j’apprends à l’instant, merci Sylvain Courtoux, ce que je craignais : Deleuze est dans cette extension neuve du cimetière, en contrebas
1ère mise en ligne et dernière modification le 28 avril 2008
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Messages
1. où Deleuze repose, 18 février 2009, 01:29
bonjour,
je suis habitante de saint léonard de noblat et vient de voir par hasard votre article. J’ai pu lire que vous n’avez pas trouvé la tombe de Gilles Deleuze dans le cimetière et c’est normal. en effet, sur sa tombe, son nom n’est que peu visible car il est enterré dans le caveau familial de son épouse. Si vous voulez y retourner et trouver enfin sa tombe, vous devrez trouver le caveaux de la famille Grandjouan ( nom de jeune fille de son épouse, Fannny).
en esperant que ça vous aidera, vous ou d’autres.
1. Manifeste pour "les produits" de haute nécessité, 18 février 2009, 09:57, par ana nb
ou " les grands frissons de l’utopie "
...pour poursuivre avec d’autres nourritures
2. où Deleuze repose, 7 avril 2011, 15:31
hello
I’m a korean student.
Because of my major, Deleuze’s philosophy,
I’d like to know exactly where the Deleuze’s tomb is in the Saint-Léonard de Noblat.
Will send me a map of there or thw way to go there from paris ?
If you do, it will be very happy to me.
My e-mail is irobumi@naver.com
Have a nice day ^^
3. où Deleuze repose, 8 février 2012, 12:22, par GranvilleQuessy
Maintenant, je suis bien conscient de l’endroit où chercher, merci pour les conseils donnés
Voir en ligne : casino en ligne
2. où Deleuze repose, 23 août 2012, 10:54, par jeux casino en ligne
C’est admirable qu’il y a encore des gens qui pensent à leurs professeurs. Je respecte ton action.
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3. où Deleuze repose, 27 août 2012, 12:29, par jeux casino en ligne
Bravo pour ton initiative, peut-être tu reprendras le voyage et y arriveras cette fois-ci au bon endroit. :)
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4. où Deleuze repose, 6 septembre 2012, 16:45, par lam
bonjour,
je ne comprends pas le lien (mort ? ) sur le manifeste des produits de haute nécessité (ed Galaade , je sais) par ana b . qui n’aboutit pas ni les autres nourritures caribéennes (recette ) bon , on ne peut pas tout comprendre ... dommage car ça m’aurait intéressé
5. où Deleuze repose, 25 septembre 2012, 11:44, par Défibrillateur
Ah ! L’anti-oedipe...
c’est le livre qui m’a décidé à reprendre des études en philosophie après 5 ans d’inactivité intellectuelle...
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Merci pour ce très bel article sur un auteur définitivement grandiose au niveau de la pensée Française.
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