#enfances #09 | Georges Perec, chambres retrouvées

un cycle sur le monde vu à hauteur d’enfance


 

#08 | Georges Perec, chambres retrouvées


D’abord, le souvenir, en osmose profonde avec ce cycle, de la chambre de Van Gogh à Arles, telle qu’il la peint, la densité des couleurs, la fenêtre au fond sur une vague tonalité verte sans détail, les deux portes bleues, la prégnance du sol de plancher pauvre et usé, puis les trois clous (la serviette, le miroir, un tableau), les paletots pendus au cintre, enfin l’étroit lit bateau avec son couvre-lit, rien d’autre. Dans une perspective déformée de façon sphérique, qui la suspend comme un monde autonome, séparé de tout.

Sur les 68 séquences du livre de Nathalie Sarraute, Enfance, au moins cinq renvoient à des chambres différentes, chaque fois représentées par une même suite d’éléments simples, sans détail, comme hors du monde.

Et puis, dans Espèces d’espaces, ce chapitre légendaire sur « l’inventaire des lieux où on a dormi » (page à télécharger ci-dessous, si vous êtes sur le Patreon). Mais Perec ne considère que l’inventaire lui-même. Ce à quoi cet inventaire lui donne accès, ce sera bien sûr l’œuvre culminante, la plus secrète et la plus riche, W ou le souvenir d’enfance.

Mais d’autres chambres, lors des séjours en Angleterre par exemple, ou dans l’adolescence, dans leur mémoire lacunaire, partielle, deviendront enjeux d’écriture (Perec les écrit), mais sans pouvoir les intégrer dans Espèces d’espaces, c’est la contraintre même du projet.

L’autre texte ci-dessous est extrait de Penser/Classer (1985, posthume), chapitre « Trois chambres retrouvées ».

Nivilliers, Blévy... et nous on va tromper Perec : pour chacune de ces trois chambres, il inscrit pourquoi et quand il était là, ce qu’il y faisait et qui l’hébergeait. Alors prenez un feutre, et sur votre tirage imprimante enlevez-moi tout ça.

Il reste quoi ? Eh bien, la même ossature flottante, séparée du monde, que la toile de Van Gogh.

À vous, sur cette simple idée. Une chambre, ou trois chambres, ou toutes les chambres.

Mais si, pour cette idée de flottement hors du monde, on rajoutait une autre strate supplémentaire : et si on rassemblait tous nos textes, non pas dans le fil de chaque contributrice et contributeur, mais dans une sorte de palais infini des chambres, où chacune donnerait, par ce jeu de portes (elles sont chez Van Gogh comme elles sont chez Sarraute), sur la chambre d’une ou d’un autre ?

Quel livre en surgirait peut-être... On tente ?

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 16 décembre 2023
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