# 09 Des hypothèses comme une évidence

Hypothèse n° 1 Le manteau

Il avait pris le bateau plutôt que l’avion, son barda posé en tas sur le quai d’embarquement au milieu des autres paquetages. Il avait fallu vendre l’auto qui les avait conduits de Lyon à Marseille, son agent de change s’était occupé de la transaction. Elle n’avait pas voulu garder cette voiture, elle n’en avait pas l’usage et où irait-elle en voiture quand lui ne serait pas là ? Elle prendrait le train, oui le train, même avec un enfant en bas âge elle pouvait bien prendre le train pour se déplacer.

Aujourd’hui, il est en pyjama. Ce manteau de femme posé sur son lit il demande si c’est pour aller à Lyon ou à Marseille et l’idée de ce manteau pour aller à Lyon ou à Marseille le rassure. D’ailleurs il est calme dans son fauteuil et semble acquiescer à l’idée, même si ce hochement de tête minuscule et confus ne signifie pas l’entière adhésion de son être à son état. Du plat de la main il souligne le pli du pantalon, ça ira bien comme ça.

Hypothèse n° 2 Les résidents

Le vieil homme regarde le paysage encastré dans la fenêtre. Il frissonne dans sa robe de chambre. Il réprime une grimace, repousse le froid qui se serait collé sur son visage. Il se frotte les yeux. La lumière souffreteuse de la pièce l’envahit. Dans le couloir, l’ombre d’une femme glisse furtivement le long du mur tandis que le voisin de chambre traîne derrière lui sa literie.

Rien ne vient plus éclairer la longue marche des hommes.

En pénétrant dans le paysage encastré dans la fenêtre, il ne subit plus la femme au gilet rouge qui entre plusieurs fois par jour dans sa chambre pour lui demander cinquante francs pour le mandat.

Hypothèse n° 3 Amalia

Des femmes sont assises dans les fauteuils. Un homme déambule dans le couloir. Lui s’attrape la tête et serre les poings.

– Elles font quoi là ? Et lui ?

Parmi les résidents, Valérie porte d’une façon inconditionnelle un gilet. Rouge. Amalia de ses yeux bleu vide pâle pleure l’absence. Cette femme appréhende la tombée du jour. Alors, les yeux bleu vide pâle cherchent dans la paume de la main frottée sans se lasser une étincelle de vie.

– On fait quoi ?

Hypothèse n° 4 Le précipice

Il est au bord du précipice. Il va tomber. Mais au lieu de descendre en flèche, il aura suffi qu’il déploie ses ailes argentées et qu’il s’élève dans les airs selon une courbe inversée. Ses dernières forces auraient éclaté comme des cristaux de sucre pétillant sur la langue.

A propos de Cécile Marmonnier

Elle s’appelle Sotta, Cécile Sotta. Elle a surtout vécu à Lyon. Elle a été ou aurait voulu être marchande de bonbons, pompier, dame-pipi, archéologue, cantinière, professeure de lettres certifiée. Maintenant elle est mouette et fermière. En vrai elle n’est pas ici elle est là-bas. Elle s’entoure de beaucoup de livres et les transporte avec elle dans un sac. Parfois dans un carton quand il ne pleut pas. Elle n’a pas assez d’oreilles pour les langues étrangères ni de mémoire sur son disque dur. Alors elle écrit. Sur des cahiers sur des carnets sur des bouts de papier en nombre. Et elle anime des ateliers d’écriture pour ne pas oublier de vivre ni d'écrire.

4 commentaires à propos de “# 09 Des hypothèses comme une évidence”

  1. De l’hypothétique que je m’imagine aisément tant je le sens ancré dans le concret. La fin est magique ! Merci à vous.

    • L’hypothèse 4 comme une fin magique : le serait-elle encore placée ailleurs ? D’autres hypothèses pourraient-elles naître de cette magie ?
      Merci pour votre éclairage.

  2. Ce sont des hypothèses qui se lisent comme un texte à part entière… Les blancs nous laissent tout loisir pour interpréter, augmenter, l’histoire. Et cette fin superbe, qui ne laisse présager que du bon !

    • Je lis « fin superbe » et « fin magique » : merci pour vos mots. La fin comme libération ultime d’un être enfermé dans la maladie – si vieillir est une maladie…