27 nuits après la fin du monde

Je n’aime pas qu’un 27 septembre vienne pour parler d’un mort. Ça ne s’est très probablement pas passé un 27 septembre, mais ça y ressemble tellement. Le 27 septembre est toujours le sursaut qui intervient juste après le mur de ciment surmonté d’un barbelé qui grignote la route. Il pousse droit et s’enroule dans une peau sourde qu’il faut gratter longtemps pour réussir à en tirer une chanson. On est encore mercredi, et ça restera un mercredi. Tous les mercredis sont tristes et tous les jours tristes sont des mercredis. La 205 me ramène à la maison. Je suis affamé. Mes intestins ne supportent plus la longueur des temps. Je me disais que tous les big bang devraient ressembler à ça. Notre univers a connu le gag du type à qui on raconte cent fois la même mauvaise nouvelle pendant 100 jours, au réveil. Ne s’agissant pas d’un réveil, ce n’était pas une blague. Elle était bien morte, ça n’était pas arrivé depuis 1993.

Ce matin-là je ne me suis pas levé avec ça à la gorge. J’avais encore au bout du ventre, ce monstre qui m’avait donné rendez-vous pour dire que dire que j’étais allé trop loin. J’en avais juste assez d’être pris pour une courge. Et pourtant, j’aime les courges. C’est facile, rapide à préparer et ça ne demande aucune métaphore. Finalement, le rendez-vous a été annulé. Il voulait juste me faire peur. À la place j’ai appris la langue allemande, quelques mots. Et j’avais moins peur. Quand on apprend l’allemand, on n’a pas besoin de se soumettre à une entité abstraite aux cheveux rasés trop court. On cherche la maîtrise, le contrôle de la langue des idées. Quand on a peur, tout nous échappe. Une petite mort, mais une mort sale. Mais tout été déjà passé quand je me suis réveillé ce 27 septembre-là. L’écho, le contrecoup, le soulagement, l’autorisation de redevenir autre, soi.

L’histoire fait croire à celui qui l’invente qu’elle ne peut pas être le mensonge de celui qui la raconte à celui qui la vit. Chaque bribe d’information s’écroule rouge et orange. Le surréalisme est à côté. Le pull de l’enseignante, rouge, est ce qu’il me reste de ce 27 septembre. On grandit tous le 27 septembre. L’après-midi, le lycée n’est pas fermé, mais il n’y a pas de cours. Pas pour moi en tout cas. Les administratifs dorment, ou sont morts. Je ne sais plus ce que je pensais des zombies à l’époque. Mais ça m’aurait bien amusé qu’on le ferme pour cette raison. Le barbu barbant venait certainement de nous filer un impossible schéma à schématiser. Et moi, me demandant ce que je faisais dans cette caricature de vie. La question est, pourquoi, à cet âge, on fait des choix aussi inconséquents alors même qu’on en mesure les conséquences ? J’ai sous pesé l’abandon. C’est venu très vite, mais peut-être pas dès le 27 septembre. Il faudrait vérifier, fouiller dans les archives, se jeter dans le creux du monde en avalant des couleuvres, toujours les mêmes, mais en les recrachant avec autant d’énergie qu’un barbant barbu. Qui jouait de la harpe. Il avait même sorti un CD ou deux dont il ne parlait pas. Tant mieux. La harpe c’est aussi ennuyeux qu’un cours de barbu barbant.

Le réfrigérateur est dans la salle de bain, en face des w.c.. On peut écrire une liste de courses partielle, rien qu’en évacuant les déchets de la veille ou de la journée. De l’importance de s’assécher. J’ai l’impression, parfois, que l’on passe notre vie à attendre. J’attendais, donc. Qu’il ne se passe rien, que la température remonte, que le collège vienne à moi. L’année précédente ça m’est arrivé, on pourrait en mourir. Pas un suicide. Non. Ça serait bien trop romantique. On ne mérite pas ça. J’étais sec, j’avais couru. J’ai dû ouvrir la porte une bonne centaine de fois avant de quitter ma prison. Mes 27 septembre sont tristes parce qu’ils se rapportent tous à un enfermement quelconque. Il n’y a que la prison que je n’ai pas faite. C’est Léo Ferré qui m’a accueilli. Le principal du collège avait un nez rouge rigolo et un beau collier de barbe blanche. je parle de collier, mais il y avait la moustache en plus. Les murs orange abritaient la misère des éléments de SEGPA. Ils n’étaient pourtant pas mal traités. Mais être bizarre ça ne passe pas. Certains cumulent la bizarrerie de l’âge adulte avec celle de l’adolescence et celle de l’enfance. On ne sait jamais si on meurt bizarre.

Un écho, à 1997, la dernière rentrée au lycée. Il ne m’en reste que des souvenirs longs et gras. Une robe bleue à carreaux. Pas la mienne, je n’ai jamais porté de robe bleue. Sauf une fois ou deux pour fêter je ne sais plus trop quoi. Dans le lot, il y a avait un mariage. Mais c’était bien après. Il n’y avait pas de carreaux sur celle-là. L’avant-garde d’une dernière ligne droite menant vers les pieds de l’Enfer. Mais dans celui-là, on triche. Il n’est pas si terrible. Il ne fait pas peur. Il fait juste trembler, changer parfois un peu, mais ça grésille plutôt. Les sons deviennent des tortues, mais c’est bien avant le purgatoire. La routine tue les lycéens. Je ne sais pas encore que dans quelques mois j’aurai peur de devoir rester encore revivre des ennuis lents et sifflants.

A propos de Stewen Corvez

Musicien, Youtubeur, photographe. Écouter - https://stewencorvez.bandcamp.com/ Regarder - https://www.stewencorvez.art Voir - https://www.youtube.com/c/StewenCorvez

4 commentaires à propos de “27 nuits après la fin du monde”

  1. J’aime beaucoup votre texte. Sentiment que la pénible et enfermante durée y vient toujours empêcher le tranchant de la date. Le 27 septembre semble du coup toujours diffus, peu discernable. Merci pour cette optique singulière

  2. Ai beaucoup aimé les bizarreries et l’humour et ai espéré n’être pas devenu le barbu barbant. Merci pour la vivacité des mots et leur profondeur qui effleure sans perdre en légèreté.

  3. oui un bel humour qui comme toujours danse sur le sombre, s’en nourrit et le rehausse en le niant
    (une petite gourmandise à mes yeux, l’expression : ‘ »des souvenirs longs et gras »)