#40 jours /#05| de famille

quinze juin

il faudrait le faire sans image mais ça paraît impossible – elles viennent par une espèce de processus magique (on aime beaucoup la magie – peu importe sa couleur, si la magie en a jamais eu d’ailleurs – ces temps-ci je suis un peu dans Zénon, après avoir été dans Hadrien – il me plaît celui-là non pas tant pour ses mœurs (les miennes restent très consensuelles sinon conventionnelles) qu’à cause de la proximité de son prénom avec le nom que je porte (après tout, sait-on pourquoi on tombe en amour ? et de qui ? quelles en sont les raisons ? en est-il seulement ?) – formellement, il me suit sur mes papiers, sur les formulaires, les questionnaires, l’administration la gestion les justifications cartes inscriptions immatriculations enregistrements matricules de tout poil. C’est là avec des numéros c’est vrai aussi mais plus de nos jours. Alors, à ce moment-là (je ne compte pas, quand on aime c’est comme ça disait Bécaud), je ne savais pas ce qu’il portait de préalable(s), c’était l’enfance – on y revient parce qu’elle ne nous quittera jamais. La maison, qui portait le prénom de ma mère et le chiffre deux, on l’avait quittée – alors quand ? Dans ces cas-là, je regarde le calendrier : c’est celui des postes, toujours, six mois d’un côté, six mois de l’autre, au milieu une image

(probablement en haut, à gauche par là) : on vécut alors chez J. (c’est le nom de famille du propriétaire auquel on louait le rez-de-chaussée de la maison située sur la rue de la Goulette qui doit aussi être un axe reliant ceci à cela – et au loin, mais pas si loin, vers le nord-ouest, la capitale). Il me semble me souvenir que le tordu du cigare (ses interventions entendues dans le poste, formidables, à Louvain, lors de l’émission qui s’appelait Océaniques – mais ici c’est le bord de mer) le tordu donc a fait sa thèse à ce sujet, cette affaire qui vous suit toute votre vie et même ensuite, lorsque vous reposerez dans un emplacement (c’est délimité en secteurs) du territoire qui se trouve au bout de l’avenue Rachel (c’est dans le 18), cette affaire-là vous suit : pour ma part, quand je l’énonce, elle me précède auprès de ceux (et celles soyons justes) qui y pressentent des présupposés : c’est clair, hein. Par exemple, l’un des grands-pères de mes enfants, y voyait une prédisposition positive aux traitements de ce qu’on nomme communément les affaires (lesquelles, d’après l’un de mes maîtres, sont ce qu’elles sont); une autre forme indique un amour immodéré pour l’économie et les attributs affriolants qu’elle tente de contrôler; encore d’ailleurs des prédispositions à se grouper en clan, club, et autres obédiences hordes et tribus que sais-je encore – tout ceci pour rappeler qu’on ne naît pas seulement, mais qu’aussi on devient (dès que j’ai lu quelques lignes écrites par cette jeune fille rangée, j’ai aimé son écriture et son style – je n’ai pas varié depuis cette dizaine de lustres – j’ai aussi beaucoup aimé (et j’aime toujours) son compagnon, mais plus dans ses œuvres autres que philosophiques). Je ne savais pas alors les sourdes qualités de mon patronyme (car c’est de lui qu’il s’agit)

non plus d’ailleurs que les brillants défauts qu’il possédait. À cette époque-là, je n’avais pas la moindre idée de la façon dont on l’écorcherait, de tout temps en tous lieux et toujours très régulièrement, encore ne faut-il pas se pencher sur la manière dont on le retranscrit – non, devant la maison il y avait ces arbres, sur la gauche en sortant, la station-service où ma mère allait parfois boire avec la tenancière un ouichki, ainsi qu’elle l’articulait (j’ai trop malheureusement perdu son prénom (non, je ne l’ai jamais su, c’était Madame Quelque chose, mais lui, je l’ai oublié, oui), son fils était surnommé Jojo, nous n’étions pas nécessairement très amis, mais on allait pêcher au bord de l’eau : accoutrement rudimentaire d’un fil accroché à une pince à linge sur laquelle il était enroulé, hameçon probablement morceau de quelque chose : cette affaire-là est trouble et ne surgit qu’ici)

Quelque part par là – je n’avais aucune idée du pourquoi, mais c’était assez tenace cependant : on allait partir, et la maison de J. ne constituait que la première étape de quelque chose de plus radical, qui viendrait à son heure. Quoi ? ce n’était pas dit. Ou j’ai oublié qu’on me le dît. Mais quelque chose. Pour le moment, il fallait, avant le repas du midi, aller à la plage toutes affaires cessantes : vu d’ici, il me semble que c’était pour faire des provisions – sel iode soleil sable chaud écume eau claire bleue souple douce salée tout ça. Au besoin, on y retournerait vers six heures. À force, on aurait la peau noire. Belle. Souple. Telle que le bronze. C’est d’ici que je vois ça aujourd’hui, mais à ce moment-là, en regardant vers la droite, je n’avais à l’idée que la beauté des fleurs : la route menait où elle allait, j’irai là où elle me le dirait. La sensation due à l’odeur des lauriers, la joliesse des feuilles d’oliviers qui bruissaient dans les soirées d’argent, rien que le vent qui passait sûrement, doux et chaud. Nul drame, aucune animosité envers la vie ou les choses qui se trouveraient ailleurs car d’ailleurs il n’y en avait pas, rien que le calme tranquille de ce jardin

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

6 commentaires à propos de “#40 jours /#05| de famille”

  1. J’adore vos parenthèses et le retour de la voix de Bécaud, sans parler de votre façon de conjuguer ramenant des accords parfaitement oubliés dans la langue parlée d’aujourd’hui : »Quoi ? ce n’était pas dit. Ou j’ai oublié qu’on me le dît. »

    • (pour Bécaud, ce n’est pas mon préféré, je vous dirais… mais enfin c’est l’époque j’ai l’impression) (probablement son prénom) (le subjonctif (très imparfait, je suppose) (je n’ai jamais rien entravé à la concordance) il est en provenance direct des écrits de celle qu’on appelait « madame » (Margot Y. alias Crayencour) (merci à vous)

  2. c’est vertigineux
    ces circonvolutions autour des racines
    le refus d’un ancrage fixe

    – et puis ce trésor
    « boire avec la tenancière un ouichki, ainsi qu’elle l’articulait (j’ai trop malheureusement perdu son prénom (non, je ne l’ai jamais su, c’était Madame Quelque chose, mais lui, je l’ai oublié, oui), son fils était surnommé Jojo, nous n’étions pas nécessairement très amis, mais on allait pêcher au bord de l’eau »
    les bons souvenirs ça, pêcher, sous l’ondée maupassante

  3. Rétroliens : #40 jours #07 | des cendres – Tiers Livre | les 40 jours

  4. Rétroliens : #40 jours #12 | petits cailloux – Tiers Livre | les 40 jours