#40 jours #03 | La femme qui plantait des arbres

On connaît l’homme qui plantait des arbres, moins souvent celle qu’on appelle « la femme qui plantait des arbres » : Wangari Maathai. Planter c’est se battre contre. Planter des arbres c’est se battre contre un gratte-ciel. Wangari Maathai a probablement quelque part son nom de la tribu : celle-qui-se-bat-contre-les gratte-ciels. Laissons nos arbres gratter le ciel, laissons-leur de la place pour gratter son air, ses molécules de dioxyde de carbone. Eux, les seuls à pomper, pomper, et encore pomper, tant qu’ils ont leurs feuilles et leurs racines. À ouvrir leurs stomates, fixer nos molécules carbonées, raciner, pomper, feuillir, trasnpirer, ouvrir leurs stomates, fixer nos molécules carbonées, raciner, pomper, feuillir, transpirer, fixer nos molécules carbonées. Les arbres écrivent avec la lumière, fabriquent l’or verte de la planète dite bleue, photosynthétisent : bois, branches, feuillage, écorce, houppier, troncs, racines, duramen. De l’immense déchetterie aérienne que nos sociétés libèrent dans leur empreinte carbone, ils fixent, fixent, fixent le C de notre air – « Scions scions du bois… », la comptine ne berce plus vraiment. « Saw, saw, let’s saw wood, For little Ma, for little Ma ». Où peut-être « regarde, regarde l’arbre… »

A celle qui plantait des arbres, honorée du prix Nobel de la Paix pour sa lutte contre la déforestation dans son village du Kenya, partie défendre la cause autour du monde, quelques maisons gratte-méninges – ces lieux dits aussi fertiles que les arbres, dont les cours abritent en général quelques arbres que les élèves emploient pour mieux décrire le ciel : une école porte le nom de Wangari Maathai : l’école élémentaire Wangari Maathai inaugurée à Aubervilliers, dans le département de la Seine-Saint Denis en 2010. Une école, mais pas encore de rue pour elle. Seules 2 % des rues en France portent des noms de femmes. Les réalités toponymiques urbaines féminies sont restreintes mais une place Wangari Maathai existe à Vienne. Peut-être une rue prochaine pour elle ? Elle figure parmi les nominations suggérées dans les plans d’urbanisme dédiés à la féminisation des noms de rue.

Google Earth localise un jardin Wangari Maathai en Italie. Un terrain de forme triangulaire, dans la plaine au pied du Monte Musine, traversée par le cours d’eau Doire Ripaire, cloué entre deux rues à double voie, la rue Ailliaud Augusto et Via Tresserve, à côté du parking du supermarché COOP. L’échancrure verte grignote le grisé d’un parking de superficie triple sur la photo aérienne. En zoom arrière, les indications se précisent. Nous sommes à proximité de Veillane dans la banlieue ouest de Turin. Entre les stations de train S. Ambrogio et Avigliana.

En imagerie aérienne, les forêts organisent la visibilité de la zone. Le jardin se situe à la base de l’embranchement de plusieurs chaines montagneuses. Les cimes serpentent sur la photo, partagent une zone vert sombre – ubac forestier, d’un adret vert clair, le versant exposé, et brun clair de fond de plaines. Le couvert forestier se lit entre les cimes de vallées comme les canaux structurent un maillage d’eau de mer sur la surface de l’estran à mer descendante. Le débit creuse des rainures dans le sable, improvisant de fins canaux spontanés. Ces rainures de vallées forestières trament la surface comme les veines à la surface des feuilles. Une ville de sève se tisse dans le feuillage du couvert forestier qui achemine depuis les troncs chaque moindre extrémité de tige en sève. Sur les versants forestiers la population d’une ville de stomates respire, ouvre un capteur de carbone sur chaque feuille –  sur Google Earth le jardin se situe là : à la base de cet embranchement de plusieurs chaines de montagnes hébergeant des massifs forestiers.

A propos de Nolwenn Euzen

J'écris dans les ateliers du Tiers Livre depuis 2022. Cycles: "techniques et élargissements" , "le grand carnet", "photofictions" ou 40 jours d'écriture au quotidien" (juin-juillet 2022). Mon blog le carnet des ateliers concerne quelques séjours d'écriture et ateliers que je propose, associés notamment à la marche à pied. J'ai publié deux livres papiers et un au format numérique quand j'étais plus jeune. Je me fâche régulièrement avec l'écriture et me réconcilie. Je suis d'abord une infatigable lectrice. "Babel tango", Editions Tarmac "Cours ton calibre", Editions Qazaq "Présente", Editions L'idée bleue Ces revues m'ont accueillie dans le passé: La moitié du Fourbi, Sarrasine, A la dérive, Contre-allée, Neige d'août, Dans la lune... Et, grâce à l'anthologie "La poésie française pour les nuls" (éditions First) je sais que dans un des livres de la bibliothèque de la ville où j'habite, c'est moi. Et ça compte d'être tatouée comme ça. J'ai participé plusieurs années aux échanges de blog à blog des "vases communicants" - mon site a disparu depuis. En 2007, j'ai bénéficié d'une bourse de découverte du CNL. Le texte a été abouti. J'ai bifurqué vers d'autres urgences. Enfin voilà quand même, je suis contente d'être arrivé là bien qu'aujourd'hui le temps a passé et que j'ai toujours un casque de chantier sur la tête. J'aime ça.

11 commentaires à propos de “#40 jours #03 | La femme qui plantait des arbres”

  1. Merci Nolwenn ! belle évocation d’une femme forte et ce jardin métaphore, source et aboutissement : magie d’un urbanisme hasardeux mais pas idiot, (bel entremêlement avec l’effet zoom arrière) – pour noms de rues, noms de femme : à suivre !

    • Merci Catherine pour ta lecture, et pour ton retour 😉
      Quelques coquilles et des retouches sont nécessaires mais quand c’est l’heure c’est l’heure de publier.

  2. Connais pas encore le mode d’emploi de Google Earth, inconnu au bataillon avant que François Bon ne l’évoque.
    Donc je ne peux dépasser la frontière de la géolocalisation
    Et je tombe sur cette image
    Lien vers Google Earth
    Quel dommage de ne pas vivre en Italie !
    Plaisanterie à part, émerveillé par votre description, qui provoque en même temps une ambiguïté ( ça m’arrive régulièrement)
    Car ce jardin à première vue m’apparaît pathétique dans la proche banlieue Turinoise, et on se demande si les gens qui baptisent les lieux ainsi ne sont pas des pervers cyniques… alors que votre envolée proche du lyrisme vers les cimes voisines ressemble à une échappée belle.
    Merci Nolwenn !

    • Merci à toi Patrick d’être passé me lire – qui plus est à l’état de semi-brouillon coquillé… Je ne savais pas que l’image de Google Earth était cliquable. Le jardin Wangari Maathai de Turin semble en effet assez pauvre, et bien desséché sur une photo prise en juillet. Quand j’ai aperçu les montagnes alentour, mon texte était sauvé 🙂
      Je maîtrise moyennement Goole Earth moi aussi, quand je m’approchais les détails étaient très flous. J’ai dû écrire avec un certain flottement, et choisi de décrire des images de plus grande échelle. Exercice nouveau et un peu étrange. Mais stimulant !
      Je passe te lire à mon tour. @ J+4

    • Merci Danièle 🙂 Je suis passée vous lire à mon tour avec grand plaisir : mon premier fil de lecture de notre équipée nombreuse, je vais lire qui me lit pluis élargis. Et que de bonnes surprises 🙂

  3. Merci Nolwenn !
    Une belle découverte pour moi.
    Il y a quand même trois lieux au moins qui portent son nom. Tant mieux !

    • Merci ! Surtout que les coquilles m’ont pistée !
      10 lieux, même, oui : de A à J sur Google Earth. Mais pas de rue ni boulevard. Enfin si, une rue provisoire lors de la journée de la femme à Saint-Denis. Je crois aussi que tout n’est peut-être pas répertorié… Apparition timide quoi qu’il en soit dans la toponymie.

    • Une bibliothèque, formidable !
      Merci d’être passée me lire. Je passe à mon tour. à très bientôt 🙂