#40 jours #14 | boîte à clés

Près de la porte d’entrée, à l’extérieur. Un clapet gris et dessous une rangée de chiffres pêle-mêle pour reconstituer le code qu’elle a oublié et donc écrit dans le petit carnet rouge qui ne la quittait jamais avant. Dans la boite, un double de la clé principale avec porte-clé en forme de cœur plastifié. Double pour les aides-soignantes, auxiliaires de vie et pompiers, en cas de chute. (Quand il n’y avait pas encore de boite et que la clé restait dans la serrure à l’intérieur, les pompiers à plusieurs reprises ont dû casser le double vitrage d’une fenêtre.) Dans la maison, au rez-de-chaussée : tous les dossiers à portée de main. Et le petit carnet rouge. Des piles de papiers empilés par ordre d’arrivée et posés sur la table de la cuisine près d’une pile de livres. Ne touchez à rien, je m’y retrouve.  Pas exactement, on s’y colle. Chemises neuves du classement.  Nouvelle pile, plutôt organisée. Dossiers : impôts ; assurances (avec suivi des remboursements suite à réfection de la toiture après les gros orages) ; banque ;  contrats associations d’Aide à la personne ; sécurité sociale – incluant évaluations GIR et documents APA, l’acronyme ne désignant pas l’Association pour l’Autobiographie mais l’Allocation Personnalisée pour l’Autonomie – ; comptes-rendus médicaux, ordonnances, suivi d’hospitalisations dans la chemise bleue ; portage des repas : feuilles des jours de passage, menus pour la semaine. Tu n’aurais pas vu mes clés ? Les vraies, pas celles de la boîte. Ah oui, dans mon sac. Elles sont toujours dans mon sac avec les papiers de base, le chéquier et la carte d’invalidité quand on sort. Plus facile de trouver une place, pour celui qui conduit. Pas de permis de conduire avec les papiers de base dans le portefeuille, il ne sert plus à rien. Près de la pile, le petit carnet rouge : complémentaire. Récapitulatif au cas où : le numéro du SSIAD (Service de Soins A Domicile). Des prénoms : Vanillia, Aminata, Nora, Cimé. Avec elles, même si je ne peux plus marcher, je voyage. Le numéro du médecin traitant qui entre sans frapper, le numéro du kiné, pas vraiment causant ; le numéro du magasin de matériel médical spécialisé ; le numéro des Magnolias ; le numéro de la mairie ; les codes PIN et PUK du téléphone portable ; les numéros des amis proches, sur une demi-page. Conservé : le numéro du spécialiste, celui qui a réussi à éradiquer les envahisseurs, des millions de fourmis minuscules. Le numéro de l’Assistance téléalarme. Aujourd’hui, se souvenir de son nouveau numéro de téléphone.  Dans la maison de retraite, elle n’a besoin ni des dossiers, ni du petit carnet rouge. Elle en a un autre.  Le code de la boîte à clés a été changé et sa maison sera sans doute vendue après l’été.

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.