#40jours #17 | les filles

Les filles, tu n’aimes pas trop qu’on te fasse des remarques, ta tenue, tes cheveux, tes ongles, tu préfères qu’on laisse ça au vestiaire, la vie devant c’est juste pour se stimuler soi, n’as pas besoin d’affiche, de valsante, de mots tièdes, faut s’épauler pour le moral, alors on se file des biscuits en cachette, une fraise en passant, peuple la bouche en catimini, juste une heure à grignoter pendant qu’on nettoie, qu’on tape à la caisse, on répercute le même mouvement des heures durant dans les épaules, les demi-bras tout avancés, donnent mal au coude, au poignet, aux tendons, l’arrière de la tête, le bas de la nuque, le jeu des épaules, serait si bien qu’on ait des pauses avec masseuse, qui saurait prendre le muscle en creusant tout au fond, aller chercher la bête et la fondre dans ses mains. Et tout fondrait en elles : la douleur, la fuite du temps, les grands thèmes du classique.

Les filles, tu me regardes avec tes yeux, tu cherches une noise à me transmettre, ton œil est rouge qui me dilue, je rentre dans ma chaise, je ne veux pas de toi, je sais que tu ne peux pas t’en empêcher, de brailler commander triturer, chercher des poux. Mon œil ne peut se détacher de toi, parce que tu es ample et souveraine, ample et souterraine, je sens tes ondes dans mon ventre. Et moi la maigre, la flûte à bec, le sang amer, la petite tronche, je suis assise à l’opercule, un rebord de gouffre ou de fenêtre, la proie inapte, petit moucheron qui fait tout mal, fait pas assez, fait pas vraiment ce qu’on veut de lui, tu me démanges avec tes yeux, et je fais rien que de te voir qui me surveille.

Les filles, ta raison passée, c’est le soir à la fermeture. On se délasse, on fume une clope, tu sors des flûtes, bouteille à bulles, assises sur le trottoir devant l’usine on s’en met une. Faut pas déconner c’est samedi soir, y a pas péché pour un pinard. Et la Ginette elle fait la fière, d’avoir piqué des cacahouètes et des pistaches, y verront rien, les caméras de surveillance on les éteint aux derniers clients, viens faire la folle ma rigolote, et tiens donne ça à ton fiston, ce jouet-là il en veut plus le mien, on lance un troc, foin des bocks et des saucissons, on n’est pas sérieuses quand on a cinquante ans, surtout samedi à la fermeture, allez les filles, bicotte biquette, et puis si t’es libre ce soir on va chez Jeannot pour une after, ah sacrées gosses on va s’en mettre, et puis la série-là, la série-là, oui celle près d’un lac, toutes les séries tu les regardes, jusqu’à si tard qu’au p’tit matin t’as fait des rêves de Francisco et tu écris, mais si les filles, on en écrit de beaux poèmes, toute la nuit en écriture dans ta caboche, ça fait des bulles dans ta vie, ça surgit frais dans la tignasse, t’as fait des vers dans la brisaille, ton cœur armé de mélodies, allez va-s’y milord qu’on se déhanche justement quand tout fout l’camp. Non non j’y vais les gosses m’attendent, à la r’voyure !

A propos de Françoise Breton

aime enseigner, des lettres et du théâtre, en Seine-Saint-Denis, puis en Essonne, au Cada de Savigny, des errances au piano, si peu de temps pour écrire. Alors les trajets en RER (D, B, C...), l'atelier de François Bon, les rencontres, les revues, ont permis l'émergence de quelques recueils, nouvelles, poèmes. D'abord "Afghanes et autres récits", puis en revues "Le ventre et l'oreille", "Traversées", "Cabaret", "La Femelle du Requin"... Mais avant tout, vive le collectif ! Création avec mes anciens élèves d'Aulnay-Sous-Bois de la revue numérique Les Villes en Voix, qui accueille tous les textes reçus, photos, toiles...

2 commentaires à propos de “#40jours #17 | les filles”

  1. Oh je suis content de lire ces trois textes ! La sonorité d’une langue comme ça, tout ce rythme que ça charrie, y a d’la vie. Du coup c’était quoi déjà la consigne ? Je sais plus, je lis et pis pas plus

  2. J’aime beaucoup l’accroche « les filles » au début, et puis après le sujet est une autre personne, grammaticale du moins.