#40jours #13 | Alerte jaune

Sur la place du Château, se trouve quelque part une galerie d’art. Elle a ouvert il y a quelques années maintenant. Je n’y suis jamais entré. J’ai seulement aperçu, un jour, un autre, une ou deux tableaux dans la vitrine, en passant, et les petites sculptures ovoïdes. C’est sûrement joli et coloré, mais j’ai surtout retenu sous la fenêtre, au pied du mur, à peu près du même ton de pierre écru, la boîte aux lettres. Je suis plus facilement entré dans le cloître des Carmes où l’on expose régulièrement. J’y vais surtout lors de l’exposition de l’école de peinture et de dessins la Barbouille. On y voit les tableaux des amateurs chevronnés et les premières productions des plus jeunes. Il y en a pour tous les goûts, tous les styles, toutes les couleurs et tous types de lignes. Et puis aussi, les ateliers de la corderie. On y trouve différents artisans d’art pour des matières très diverses. Du verre de vitraux, de la paille de jonc pour boîtes et coffrets, des cuirs de sacs et de portefeuilles, du fil de fer recyclés en sculptures, l’argile des poteries en céramique et en faïence, un panel de tissus pour des créations textiles diverses, des fragments de pierre, d’émail, de céramique et de faïence, de verre dans l’atelier de mosaïque. Un patchwork de petites boutiques ou les couleurs sont d’abord les fruits du travail de la matière, se font par la recherche d’une texture, d’un timbre, d’une sorte de brillance, fût-ce la matité même. Et même s’il n’y a pas de réelle couleur, j’avoue avoir un faible pour les petites sculptures de fil de fer qui sont comme des structures paradoxales de l’air revêtu de métal. Du fer, ici brillant, là terne, et là noirci et rouillé. Mais c’est peut-être ça la véritable couleur de ces structures, l’air ?

Mais, pour moi, le véritable lieu des couleurs, à Sauveterre, c’est à l’hôpital. Pas simplement parce que la façade a repris des couleurs, l’ancien bloc blanc, repeint, étant désormais habillé de nouvelles cellules d’un gris anthracite bordé d’orange rouille. À l’intérieur, la couleur semble libérée des contraintes laborieuses de la représentation et de la matière. Et c’est comme si, détachée des objets qui la supportent, elle retrouvait ou découvrait une nature dynamique, quelque chose de l’ordre d’une force instantanée. De l’intensité, de l’étincelle. Je me souviens, la dernière fois, quand on a dû m’emmener aux urgences pour une affection de la langue, une sorte de gonflement. Je suis resté toute la nuit en observation, dans une chambre des plus communes, aux murs et au sol clair, du même ton pierre, à peu près, bien que tout fût couvert d’un voile d’ombre plus ou moins gris, et le sol plutôt marbré, couvert de lignes sombres. Mais peut-être était-il moucheté ? Bref ! le soir, après sa visite, l’infirmière a laissé la porte de ma chambre ouverte et, sans trop savoir pourquoi sur le moment, j’ai pris mon smartphone pour faire une photo de cette porte ouverte, de ce jaune pâle qui changeait d’ambiance en fonction de la lumière. C’est comme s’il y avait eu ici un petit projecteur sur la porte en face, là un autre sur la mienne, et la coloration changeait, le jaune pâle devenait plus franc, et dans la zone d’ombre il se parait d’accents orangés. L’ambiance, par le petit jeu de lumière des réflecteurs, était à la chaleur. Je me suis alors levé pour prendre un peu du brin de soleil artificiel qui s’offrait là devant ma porte, et pour la nuit. J’ai alors vu, d’un côté et de l’autre du couloir, comment ce jaune pâle, ailleurs, plus loin, sous d’autres lueurs, se faisait paille, et comment son aura pouvait donner au plafond une tonalité de pierre, de dalle écrue. Et ce doit être à peu près à ce moment-là que la couleur m’a surpris. Un peu comme peut nous étonner une super idée, bien qu’elle ne le soit pas vraiment, ni super ni même idée en fait. Mais ça se joue dans l’instant. Et justement, à ce moment-là, dans le couloir, il y avait des objets, bien que très fonctionnels, la forme répondant à des normes d’hygiène et de sécurité strictes, à des usages et des méthodes en milieu médical précis, il y avait tous ces objets très spécifiques et néanmoins très colorés, à couleurs franches. Un chariot violet. Le linge blanc dedans. Un flacon bleu turquoise. Des sacs poubelle roses. Des boîtes rouges. Un petit chariot gris. Des bacs blancs. Des flacons verts. Un sac jaune clair. Une armoire roulante blanche et son armature rose vif. (D’ailleurs, tout meuble un peu imposant est monté sur roulettes.) Des bacs bleus. Un autre rouge. Un saut jaune. Des vaporisateurs blancs à tête rouge. Une bouteille d’eau transparente. L’étiquette bleue. Un flacon bleu ciel. Un sac blanc à poignée vert pâle. Un sac orange. Des balais bleu et gris. (Je ne dis rien des matières, mais il y beaucoup de plastiques.) De petits panneaux rouges fixés en haut des murs. Un accroché au plafond. Dans l’ombre la petite lampe de sécurité verte et jaune. Et le panneau bleu nuit de la sortie. Un extincteur rouge à tête noire. Un autre rouge à étiquette d’argent. Et le col noir du tuyau. (Un qui doit être rempli d’eau, l’autre de carbone.) L’œil blanc de l’horloge d’un côté et de l’autre le sens interdit. Le cercle rouge à trait blanc. Et ces points vert pomme, ces pois le long du couloir. Au milieu sur un lino gris foncé à points blancs. Des soleils verts sur fond de constellation. Ou le même soleil mais à des moments différents de son cycle. Un peu comme certains clichés nous montrent le trajet elliptique de la lune au cours de la nuit. (Mais qui me dit, d’ailleurs, qu’il ne s’agit pas d’une lune ?) Bref ! j’en oublie. Mais je n’oublie pas cette façon dont les couleurs ne se prêtaient pas du tout aux principes formels et fonctionnels au possible des objets qui les supportaient sûrement comme ils pouvaient. Cette atmosphère de soleil à minuit et de jeu de couleurs. Comme on était loin de ce à quoi les urgences font plutôt penser, et de ce que j’ai vécu à la maison quand le gonflement a commencé à sérieusement figer la langue : Alerte rouge !

Figure 34 – Le Couloir des urgences – montage photoperso – 20210413_184421

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme un vaisseau fantôme).