#40jours #20 | tourner de ton nom

à voir à lire à penser – n’oublie pas de ponctuer – laisse tomber ne t’embarrasse pas – une seule fois laisser de côté la syntaxe, la grammaire les signes et les conjugaisons, la concordance des temps !! formidable engeance, vu tout à l’heure l’image de Maurice Grevisse où on n’accentue pas le e (il s’agissait d’un exemplaire à la couverture verte, toilée, livre qu’on m’avait donné – ce qui est faux, je l’avais volé,mais enfin pour l’occasion) donner c’est donner reprendre c’est voler disait la maxime – il était sur la table, le bureau de ministre que ma tante m’enjoignait de mettre au milieu du salon « pour recevoir mes clients » (qu’avais-je à leur donner?) j’ai adoré (recevoir, est-ce le contraire de donner ?) je l’ai embrassée elle m’a donné des voiles qu’elle avait ourlés pour filtrer les baies qui donnent sur la rue des rideaux de tulle blanc – elle était assise sur son lit et cousait, chambre 35 souvent, tu ne peux pas imaginer je t’assure disait-elle – elle m’invitait au bar du coin qui faisait alors tabac, bois chéri bois elle laissait un billet de cent francs pour deux cafés (le garçon venait me rendre la monnaie) ce commerce (aujourd’hui si luxueux que le cinéma va y poser ses trépieds ses stars et ses lumières) vendait des sandwichs à la viande (rosbeef rôti de bœuf rouge sang) pas donnés peut-être mais délicieux – décliner ça veut dire aussi prendre la pente dans le sens descendant – anthropologie structurale et préface à Mauss don et contre-don – non ça reste et ça ne veut pas s’en aller, c’est là, ça ne peut pas – c’est équilatère disait mon père – dehors il pleut ça va donner les plantes les tomates sur le balcon – elle et lui, c’est terminé donc ? donner à penser juste un moment à peine quelques minutes laisser aller partir les signes qu’on faisait aux avions qui s’en allaient – je reviens je m’en vais je reviens – dans le ciel elle s’envolait mais de tout temps elle a été là, elle revenait un soir du Bon Marché deux sacs de papier kraft remplis de victuailles « tiens disait-elle il faut que tu manges » jamais je ne l’oublierai – elle est aujourd’hui à Berlioz avec les autres, j’y vais de temps à autre et sur le marbre noir dépose un caillou blanc – je le lui donne je crois – elle n’a pas disparu, comme les chansons qui meurent aussitôt qu’on les oublie – non elle est là, non loin, toujours généreuse, toujours joyeuse et un peu cinglée, adorable – et dans l’avion qui s’envole au dessus de l’avenue, elle qui s’en va « au revoir au revoir »

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

4 commentaires à propos de “#40jours #20 | tourner de ton nom”

  1. c’est tellement touchant ce texte et si fluide, j’aime votre façon de jouer avec la langue : »décliner ça veut dire aussi prendre la pente dans le sens descendant « …

  2. Merci de partager l’hommage à cette dame: » toujours généreuse, toujours joyeuse et un peu cinglée, adorable ».