#40jours #24 | qui regardait les oiseaux

En peu de semaines, Manuel dos Santos, 66 ans, retraité, passant ses journées assis sur un banc du Jardim da Estrela, en compagnie de son ami, José Gonçalves, 70 ans, retraité comme lui, sait tout sur les perruches vertes. Perruches à collier, comme il l’a appris, ou psittacula kremeri, de leur nom scientifique. De l’observation directe, au sens strict du terme, est née sa passion, puisque de l’arbre où elles sont accrochées la tête en bas, elles semblent ne pas le lâcher des yeux, jusqu’au moment où elles décident presque à l’unisson de s’enfuir vers les creux des troncs massifs et sombres. Le matin, toujours en groupe, elles s’envolent dans une stridence fébrile vers d’autres parages. Il spécule sur leur vie avec son compagnon, comme on commente la vie des autres, se demande où elles vont si tôt le matin, comment elles passent leurs journées, quels sont leurs repères, si elles se reconnaissent en traversant le ciel. Il va jusqu’au point de les compter, 50 environ envahissent le jardin à la tombée de nuit. Il multiplie ce nombre par le nombre de jardins qui existent dans la ville pour arriver à la jolie somme de 2000, puis pense aux jardins dans le pays tout entier et c’est l’infini. Désirant en savoir plus, apprend quelles sont venues d’Afrique et d’Asie, pas de leur plein gré (évidemment), que quelques-unes ont dû s’enfuir de leurs cages dorées (malignes !), s’étant parfaitement adaptées aux conditions de leur nouvel habitat (cela semble tout à fait vrai). La première aurait été aperçue se promenant au-dessus des eaux de l’estuaire (comment savent-ils que c’était la première ?), que le cou des mâles est cerclé d’une fine raie noire (d’où leur nom), qu’elles aiment les fruits, les baies et les graines (il leur apporta des bouts de pomme qu’elles dédaignèrent), qu’elles font parfois plus de dix kilomètres pour trouver des aliments, que l’hiver elles ont plus de mal, qu’elles délogent de leurs nids avec un incroyable sang-froid les hiboux, les chouettes et les chauves-souris afin de prendre leur place (eh bé !) ; qu’il y en a à vendre sur un site de choses usagées, entre 30 et 40 euros chacune (les salauds). Sur la page de la SPEA, on demande aux gens de faire une promenade quotidienne vers 16h30, de prendre note des spécimens rencontrés et de vérifier leur activité, manger ou dormir, et de fournir ces informations à l’adresse indiquée sur le site (pourront toujours attendre). Pour l’instant, les perruches vertes ne sont pas encore considérées comme une espèce envahissante, comme en Espagne, par exemple (il se demande ce qu’on en fait du surplus), mias il découvre qu’elles peuplent aussi les jardins allemands, français, italiens, entre autres. Plus il en apprend sur les perruches vertes, et même si les informations qu’il recueille ne sont pas toujours coïncidentes, son intérêt diminue pour ces oiseaux qui continuent de le regarder comme s’ils lui en voulaient d’avoir percé leurs secrets. Son voisin de banc public avec qui il partage toutes ses connaissances les regarde, lui, dans un constant état de grâce et il ne comprend plus pourquoi.

Bouvard et Pécuchet sont arrivés trop tard dans ma mémoire, alors j’ai continué.

A propos de Helena Barroso

Je vis à Lisbonne, mais il est peut-être temps de partir à nouveau et d'aller découvrir d'autres parages. Je suis professeure depuis près de trente ans, si bien que je commence à penser qu'autre chose serait une bonne chose à faire. Je peux dire que déménagement me définirait plutôt bien.

8 commentaires à propos de “#40jours #24 | qui regardait les oiseaux”

  1. les perruches n’ont point besoin de gps… alors, tant qu’on verra les étoiles…
    mais les pylônes et les antennes de tout poil créent des obstacles inattendus et les oiseaux s’y déchiquètent
    merci pour cette histoire, Helena

  2. Une belle histoire, émouvante. Et sans data !
    Merci, Helena, pour ce double portrait de gens sages.

    • Oups, je crois que j’ai raté la consigne, qui pour moi n’était pas évidente. Merci, Fil !

  3. C’est incroyable le nombre d’oiseaux qu’il y a dans les contributions de cet Atelier, il faudrait une consigne pour en faire l’inventaire et une bande son à la Hitchcock … Mais la rencontre entre Manuel dos Santos et José Gonçalves au Jardim da Estrela indique une alternative bien plus encyclopédique , un véritable passe-temps de contemplatifs de plus en plus érudits. Les perruches on le sait ont des conversations abrutissantes mais elles se font pardonner parce qu’elles sont belles en vert fluo, elles toisent du regard gauche ou droit en tout cas latéral les « perçeurs de secrets ». On ne sait plus où donner de sa propre tête, un peu comme sur internet. Heureusement , il y a des cages pour la nuit et le torchon dessus pour pouvoir dormir.

    • Merci, Marie-Thérèse, de votre retour ! Oui, ce regard de côté avec leur seul oeil disponible est irrésistible ! J’ai failli inclure cette description dans le texte, puis, dans la hâte de terminer, je l’ai oubliée. Merci de me la rappeler !

    • Merci, Laurent. Oui, j’ai pris le mot dans son sens le plus large ! Et puis l’histoire était là, alors je l’ai attrapée au vol ! 🙂