# 40 jours # 28 | le cadeau

Ils m’ont élue pour l’achat du cadeau. Par ton métier tu as acquis le sens du symbolique, m’a écrit le groupe, toi tu sauras le trouver ce cadeau d’anniversaire pour lui qui a tout et n’aime rien. Il fait beau c’est une chance. Je me dis qu’en marchant dans la ville une idée me viendra. Dans un quartier avec boutiques. Du trou des Halles vers la place des Vosges par exemple; dans ce sens là. Je pourrais finir sur les quais à hauteur de l’ile Saint-Louis puis manger une glace en regardant les mouettes. Marcher en ville est une chose que j’évite habituellement, comme les glaces, les mouettes aussi je les garde à distance. La ville  et ses vitrines dernier cri, ou prix cassés, ses librairies sanctuaires, est un gouffre à tentations. Si par malchance mon humeur maussade me pousse vers l’achat consolateur, j’adopte une stratégie de secours comme par exemple passer un moment dans une de ces boutiques de vêtements où les vendeurs et les vendeuses sont trop occupés pour t’adresser leurs questions (si vous trouvez votre bonheur ?), là où on te rembourse l’achat qui ne conviendrait pas. Le possible retour est un point important en cas de craquage intempestif. Tu essayes vaguement. Tu prends sans retenue. Tu rentres avec tes sacs. Tu fais une petite danse devant le miroir, et tu remballes. Deux ou trois jours plus tard, tu as trois semaines devant toi, tu rapportes (et qu’est ce qui n’allait pas ?), je dis que c’était pour des costumes de théâtre et que ça n’a pas plu au metteur en scène, elle s’en contre-fiche la vendeuse,  ou que c’était pour quelqu’un qui a tout et n’aime rien, que j’allais finalement offrir un massage. Le massage ! c’était l’idée. Comme quoi marcher, même en ville, t’ouvre l’esprit. Je SMS au groupe: un massage!? Les réponse fusent : c’est quand même très intime – il déteste qu’on le touche – il vit en couple avec quelqu’un de possessif il faudra offrir le massage au deux ça n’entrera pas dans le budget. J’avais oublié le budget. Avant il fumait le cigare, un peu cher mais pratique. Un truc qui part en fumée, me dis-je, enfin quelque chose d’immatériel et de pratique. Je pense alors aux data. Un ami m’a expliqué les data. Il s’y connait, il y réfléchit depuis longtemps aux datas. Moi je suis passée à côté des datas ou je n’ai pas voulu voir. Il dit qu’il y a partout. Des datas sont en tout et pour tout. C’est ça le réel. C’est comme rien, utile et pas encombrant du tout. Les datas ou données informatiques c’est la réalité. Quand il m’explique je les vois ces invisibles données qui gardent mémoire de ce que la mémoire s’empresse le plus souvent d’oublier. Et ça peut s’offrir pour un anniversaire à qui se plaint de trous dans sa mémoire? Qui oublie son code d’immeuble, son chien, ses rendez-vous, même son nom. Des trous de mémoire qui lui font acheter ce qu’il a déjà lui qui a tout et n’aime rien. Je m’assois au bord de la fontaine immobile. Je regarde passer les touristes agrippés à leurs téléphones; je me demande si Dali aurait peint des data molles. Il est dix neuf heures les boutiques ferment. Je m’engouffre dans le RER. Il me reste encore quarante huit heures pour le cadeau.

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

20 commentaires à propos de “# 40 jours # 28 | le cadeau”

  1. c’est horrible la responsabilité du cadeau, et j’ai vu passer sur instagram des peintures virtuelles absolument atroces, suis assez réac sur ce coup là

  2. (une chemise – rue du Roi de Sicile, il y a un marchand) (c’est sur ton chemin) (je l’ai indiqué aussi à mon ami libraire – il aime les chemises – du genre un peu spéciales (originales, différentes, colorées etc.) (pas hawaï quand même, n’exagère pas) – un peu trop chères (pour moi s’entend) mais pour un groupe ça devrait aller)

  3. récit parfaitement mené
    on sent les limites de notre société de consommation, à tout prix un cadeau… au fait, c’est quoi un cadeau ? ça veut dire quoi ? parfois offrir juste du temps, une balade, un bain de jouvence…

  4. C’est vraiment terrible les gens qui ont tout et qui n’aiment rien !!
    Merci Nathalie !

  5. C’est magnifique Nathalie cette déambulation entre le dehors et ton dedans – Ce regard vers l’extérieur et le questionnement intérieur que je ressens à chaque ligne. Merci, j’aime.

    • Merci Irène beaucoup. j’avais séché les data me suis dit que je pouvais peut-être y remédier

  6. j’adhère au commentaire de Clarence, le regard vers l’extérieur et le questionnement intérieur. Ingénieuse idée de trouver la place à ces data ! Tellement bien fait le tour de la question, quel cadeau ? Merci. Tellement bonheur de te lire comme si tout coulait de source, avait un sens, prenait place, trouvait écho…