#40jours #31 | Descente

Contours d’un porche très haut, dans la vieille ville. Pavés démultipliant la lumière de réverbères restaurés, l’heure de l’extinction programmée dans le noyau historique est proche. Peu de temps pour tout traverser avant d’être dans le noir, les grands axes froidement éclairés jour et nuit se trouvant beaucoup plus loin, en contrebas. On les devine à la lueur lointaine qui donne une indication approximative. On passe sous le porche en sachant seulement qu’il faut descendre et que les premiers dénivelés ressemblent à de grandes marches bitumées, sans doute pour qu’une voiture au pas puisse passer quand même. Mais il est tard, on ne voit aucun engin motorisé. La rue tourne un peu, on la dirait poursuivie par les venelles qui la croisent et comme l’œil s’est habitué à la pénombre latérale, on devine les murs et les toits détériorés, les maisons à vendre parce que loin des commodités qui font la différence.  Des noms de rues, en blanc sur fond bleu se laissent deviner et donnent l’illusion d’un lieu bien conservé, répertorié, balisé où impossible de se perdre. Sauf qu’on est déjà passés par là ou alors l’immense cèdre dont les branches se fondent dans le noir de l’autre côté du mur ressemble comme deux gouttes d’eau à celui qui s’est déjà présenté en début de descente, même qu’il faisait penser à celui de l’enfance dans lequel tu te cachais et tu ne répondais pas aux appels inquiets, pas envie qu’on te trouve. Tout s’est éteint. Une rue à angle droit, un élargissement. On ne descend plus, quelque chose s’est stabilisé et on devrait normalement trouver au bout de ce faux plat des panneaux de signalisation. On s’approche. De ce côté un étrange sens interdit, avec rectangle blanc de la soustraction au milieu du cercle rouge presque phosphorescent. De l’autre, un panneau triangulaire avec point d’exclamation. Attention travaux puis déviation. Cela ne me concerne pas, je suis à pied et ce n’est pas là que la voiture est garée. Des bâtiments apparaissent à présent, on est à la périphérie et les silhouettes géantes et bétonnées ont remplacé le cèdre. Très peu de fenêtres éclairées, beaucoup de carrés noirs, il est tard. Les bâtiments se multiplient. Ils se ressemblent tous, on les longe, on les contourne puis on traverse ce qui est devenu un quartier. La lueur lointaine semble se rapprocher tandis qu’on s’éloigne de la cité. Il semblerait qu’on soit sur la bonne voie, accélération du pas. Trottoirs entretenus, rue droite mais remontante. Faire demi-tour : normalement, la voiture est garée tout en bas. La lune ressemble à un panneau de signalisation suspendu dans le noir. Un arrêt, rien que pour la regarder. On n’est plus à un détour près. Perdue pour perdue, peut-être faudra-t-il refaire le trajet dans l’autre sens, jusqu’au porche pour repartir du bon pied, peut-être redescendre de l’autre côté. Dans la tête, en accéléré. Contours d’un porche très haut, dans la vieille ville.

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.

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