#40jours #07 | brèves de descentes

Il y avait ce puit sur une des cinq terrasses qui composent ce jardin, un puit recouvert de planches avec une lourde pierre posée dessus. Interdiction formelle d’en approcher et si j’en vois un il est privé de dessert pendant toutes les vacances. Bien, nous nous contentions de tourner autour, de se cacher derrière, de chercher comment retirer cette pierre qui nous paraissait immense à nous, les minots.

Un mois d’aout, plus téméraires que d’habitude et peut être aussi parce qu’un gars de la bande avait pris en hauteur et largeur pendant l’année scolaire, parce qu’on avait fait tout ce qu’on pouvait comme interdit, il ne restait plus que ce grand chalenge. Il a commencé par retirer la pierre et les planches et se pencher pour voir. Certains ont jeté des cailloux mais pas de ploc attendu. Au début des barreaux qui formait une sorte d’échelle et tous mouraient d’envie de voir ce qu’il y avait plus bas On a demandé d’être tous ensemble une nuit avant la reprise des classes. Chacun devait avoir une lampe de poche avec piles en état, des chaussures et non pas de sandales ou claquettes et un chandail car on ne sait pas la température qu’il fait dans les puits. Une fois la nuit tombée et la maison silencieuse juste troublée par quelques ronflements nous voilà dehors, nous marchons en file indienne tous les cinq souvent appelés à notre grand dam le club des cinq.

Il retire pierre et planches à nouveau et je descends la première pendant que les autres éclairent. Les barreaux sont humides et glissent un peu. Je descends lentement pendant que les autres n’arrêtent pas de me demander ce que je vois. Pour l’instant rien, attendez un peu. Je continue à m’enfoncer et soudain plus de barreau où poser mon pied. Je regrette d’être descendue la première. J’ai froid et je commence à avoir peur, je vois à peine leurs lampes. Je tends la jambe pour un point d’appui. C’est de l’eau que je sens, je m’étire pour voir si c’est profond. Je sens que je peux poser mon pied. Voilà j’ai lâché le dernier barreau. Mes pieds sont dans l’eau, le fond est vaseux, je m’enfonce, je dérape. Je n’entends plus les autres. Je peux enfin prendre ma torche et regarder ce qu’il y a autour de moi. De l’eau stagnante qui pue, de grosses pierres, de la mousse sur le bas du mur circulaire. Tout ça pour ça. A coté de la fin de l’échelle il y a une porte en fer incongrue, je m’approche, pousse, pousse encore elle s’entrouvre juste de quoi me faire passer. Derrière un couloir, large avec des néons au plafond qui s’allument de manière intermittente. Pourquoi n’ai-je pas vu cette lumière dans le puit ? Je continue le sol est sec, au plafond des gaines avec des câbles. Sur les murs plusieurs lignes de différentes couleurs. Un croisement. Une ligne part à gauche et je ne la retrouve pas en continuant tout droit. Le couloir est large, sur la droite un brancard. Je continue. Ma lampe a disparue, mes chaussures sont des baskets que je ne connais pas, j’ai grandi. Je suis dans les sous-sols d’un hôpital. Je croise un brancardier. Tu n’as pas l’air dans ton assiette dis-moi. Je passe sans le regarder. Un escalier qui descend sur la droite je tourne en vitesse, une volée de marches et me voilà dans des caves. Je ne m’étonne pus de rien. Je prends à gauche. Un homme à mes côtés me dit que cette visite est obligatoire dans les diagnostics. Le fond du couloir est bouché. La cave adjacente à la mienne a été vidé dans le couloir et il est impossible d’y accéder. L’homme du diagnostic se débrouille comme il peut, enjambant des coussins, des rideaux et prend les mesures nécessaires comme il peut. Je quitte le couloir, furieuse après ma voisine mais l’escalier a disparu. Un escalier en planche de bois descend. Il fait de plus en plus froid. J’entends des voix bien plus bas. Je suis seule. Je m’accroche à la rampe faite d’une corde. Les voix se rapprochent. C’est une grotte de stalactites et de stalagmites. Le décor est somptueux. Tant d’années pour construire cette féérie. Les personnes présentes se dirigent vers un ascenseur. Je pense retrouver la lumière du jour, en quelle année et où, je m’en fous, je veux juste revenir en surface. Mais l’ascenseur descend…

A propos de Véronique Hilly

Ça commence par une scolarité (lointaine) où écrire tenait du cauchemar. Il y a quelques années une amie propose un atelier d'écriture et pourquoi pas. J'y ai découvert d'avoir un plaisir immense à écrire. Alors je continue !

8 commentaires à propos de “#40jours #07 | brèves de descentes”

  1. Bien vu. Et les quatre autres du club des cinq, privés de dessert ? Merci Véronique.

    • Merci Simone d’avoir lu et commenté. Et les autres du club s’en sont bien tirés finalement !

    • Merci Juliette pour ce commentaire. Plein de sous-sol traversés comme on traverse la vie.

  2. Je lis plusieurs textes de la proposition 7. « Descendre » ça intrigue et ça fait peur décidément. Merci pour ce texte qui appelle une suite, non ?

    • Merci Emilie. Oui cette descente est vertigineuse et peut se continuer à l’infini ou presque

  3. J’ai été prise par le texte, comme dans un rêve où rien n’étonne, merci !