#40jours #21Bis | aller aux morts sans livre

Je vais au cimetière de la ville que je veux écrire. J’y vais en étranger, je n’y ai pas de morts. Matin d’été encore doux, j’attends l’ouverture. Quel visage aura le gardien ? Est-ce un visage connu, croisé ? Il y a des horaires, je dois donc attendre. On ne peut pas entrer, on ne peut pas sortir. C’est un mur jaune repeint à neuf. Il y a bien sûr des cyprès, la route qui le longe est interdite aux voitures par une barrière, si vous vous êtes accompagné d’un mort, vous pourrez entrer roulant,  sinon vous devez rester à pied. Du côté de la campagne, il y a des mûres, desséchées. Je cherche un endroit où pisser décemment. Un des cyprès est mort, hors des murs. Il y a deux entrées, à chacune une grille et un cadenas la fermant. Où est la clé? A la mairie ? Chez le gardien? Combien y-a-t-il de morts ici ? Combien ont été enlevés? Je m’approche des bouches de lumière. Je suis au-dessus d’un columbarium couvert. On voit les maisons assemblées d’en bas. On est loin. Un marcassin passe. Près de la porte, une niche avec une porte vitrée dédiée à l’affichage, la porte s’ouvre librement, rien n’est écrit, rien n’est montré. Il reste seulement des punaises enfoncées, des langues minuscules de papier. Sur le mur, à côté, imprimé sur une plaque de plastique, en double. le nom et les coordonnées de l’entreprise à qui sont délégués les services funéraires. A l’heure exacte, un fourgon arrive et se gare. Le jeune homme qui descend ouvre le cadenas et entre. Il a des lunettes de soleil.

Je le croise entrant comme je sors.  Elle fait le signe de croix et je sens son parfum. Sur le banc, elle est assise. Dans son dos, le mur d’enceinte. Elle est sortie, elle aussi. Elle se repose, elle regarde les collines. La sérénité gagne à l’usure. Le parking est vide à l’exception de ma voiture. Pourquoi l’ai-je garée à cet endroit et non à un autre? Pourquoi cette heure ? Il n’y avait pas de livres avec moi, et il n’y en pas dans la voiture. Il n’y a plus personne. Le parking s’interrompt par un mur de ronces. Derrière il y aura : un pré qui commence, une ferme, une villa. Et avant dans le coin un cyprès, encore, près du mur jaune et près des ronces. Qui va le toucher? Qui va jusqu’au coin? 

A propos de Tristan Mat

Tristan Mat vit. Ailleurs. Il écrit. A la main. Site http://www.tristanmat.net/ Profil Facebook: https://www.facebook.com/tristan.mat.735