#40jours #24 | petites histoires de réseau

Ici il n’y a pas de train, pas de car régulier, juste une desserte pour les enfants qui vont et reviennent de l’école. Lucette rythmait ses fins d’après-midi autour du passage du minibus orange qui remontait la rue vers 17h. Elle est partie pour toujours l’hiver dernier. Les gosses continuent à descendre du bus Place du Poilu avec des écouteurs sur les oreilles avant de s’éparpiller dans les ruelles vers leurs maisons. Enfin plus maintenant, c’est les vacances.

Il n’y a pas longtemps, ils ont fait des trous au centre du village. Ça a duré pas mal de jours, au moins deux semaines pour progresser depuis la Place du jardin jusqu’au quartier du Naduel. Des types jeunes en camionnette blanche avec le nom d’une entreprise technologique estampillé en rouge sur les portières. Ils ont juste dit qu’ils installaient le câble. Pas trop bavards les types. Tout le monde s’est demandé comment tout ça allait tenir en l’air, ficelé avec d’autres câbles et boîtes de dérivation vétustes et quel prix il faudrait payer pour en avoir l’usage. Quel usage d’ailleurs ?

Après l’épisode cévenol ravageur de 2014, il y a eu des crédits de la Région pour faire passer l’internet sous terre depuis Ganges. Cinq kilomètres de défilé rocheux. Drôle de chantier. Les équipes de gars en vestes luminescentes enfilaient des mètres et des mètres de câbles dans les tranchées d’une bouche à l’autre. On les a vus travailler, un travail de taupes, tout à la main. Maintenant dès qu’il y a une coupure, il faut aller tout vérifier. On espère que ce n’est pas rien que du provisoire, pourtant ce sentiment de menace à peser d’un seul regard l’instabilité des falaises. Juste en bas, un vacancier a été écrasé par un rocher le 6 août 2018 à 23h15. Il dînait tranquillement à côté de son camping-car. Le volume du rocher a été estimé à 1,3 mètre cube. Circonstances de l’accident indéterminées. On trouve l’information sur internet.

Robert qui habite au bout de la rue, n’a pas de téléphone portable. Quand il a besoin de quelque chose, quelques billets de 10 pour acheter son pain ou une casquette neuve, il va à l’agence postale. Là on s’occupe bien de lui.

À mon arrivée ici c’était quasi zone blanche, l’antenne-relais de Cazilhac trop éloignée pour autoriser un fonctionnement correct des mobiles. Toujours l’un ou l’autre qui rôdait du côté du Temple ou montait vers le cimetière pour obtenir un peu de connexion. J’avais alors de gros soucis avec mon fournisseur d’internet qui concluait toujours nos entretiens avec un On vous tient au courant par SMSMais puisque je vous dis qu’ici il n’y a pas de réseau ! En ce moment je suis au fond du jardin, les pieds dans la neige pour vous contacter. Dès qu’il y a du vent ou du tonnerre, je n’entends plus rien. Imaginez. Alors on fait comment ? Ils ont récemment installé une nouvelle antenne au bord de la route qui monte vers Pommiers. La vie moderne est devenue possible (ou impossible ?). Comme ça qu’on se fait avaler. Surtout pas question de faire suivre le portable au jardin. La vie naturelle y frissonne, se moquant pas mal des ondes électromagnétiques.

Coupure d'électricité prévue cet après-midi avec des horaires aléatoires. J'ignore quand je pourrai revenir vers vous...

Photographies Françoise Renaud© – ciel au village, 2022

A propos de Françoise Renaud

Parcours entre géologie et littérature, entre Bretagne et Languedoc. Certains mots lui font dresser les oreilles : peau, rébellion, atlantique (parce qu’il faut bien choisir). Romans récits nouvelles poésie publiés depuis 1997. Vit en sud Cévennes. Et voilà. Son site, ses publications, photographies, journal : francoiserenaud.com.

11 commentaires à propos de “#40jours #24 | petites histoires de réseau”

  1. De la difficulté à s’accrocher à des réseaux… et une coupure d’électricité là dessus… patatras !
    Merci Françoise !

    • ah ah oui, le jus vient juste de revenir, et faut tout remettre à l’heure… en espérant que ce soit pour de bon !
      je suis reconnectée
      merci Fil de tendre la main !

  2. Réseaux instables, conexions intermittentes, mais tout cela déploie ses tentacules dans les endroits les plus réticents. Et tu donnes très bien à voir cette progression inéluctable. Merci, Françoise !

    • tu as tout à fait raison de pointer du doigt l’idée d’encerclement, de resserrement autour des zones résistantes…
      et toujours dans ma perspective de travailler autour de ma minuscule ville… étoffer la gamme et puis on verra
      merci pour ton délicieux passage, chère Helena, et à demain !

  3. Tous ces problèmes de réseaux aériens et intra-utérins sont universels désormais… On a les mêmes à la maison.

  4. A la fin, il y a toujours derrière les réseaux numériques, de simples câbles, et un territoire. Merci

    • et aussi des êtres humains et des animaux qui rongent les câbles…
      tu me diras, en ville aussi, il y a de plus en plus de rats…
      délices de t’avoir en fidèle (merci)

  5. Me fait rêver l’avant internet, l’avant. mobile, pas si lointain, pas si moche. Peut être idée de parisienne. « on vous tient au courant » assez drôle comme formule en cas de coupure

    • est ce que internet et rêve seraient incompatibles ?
      oui, l’histoire de courant revient souvent par ici… faudrait que je case un texte là-dessus !
      merci Catherine pour cet écho…