#40jours #31 | approche dans la lumière d’août

The Blowup (sous licence gratuite Unplash)

ça s’est fabriqué avec peu et ça s’est inscrit d’une façon singulière sur le film, une première fois d’après la carte du coin utilisée en randonnée avec courbes de niveau et indications de végétation — c’était histoire de vérifier l’altitude et d’estimer les distances avec les villes avoisinantes —, la deuxième fois d’après la fiche qu’un agent immobilier avait envoyée par mail à propos d’un endroit qui correspondait aux critères énoncés, du moins en partie, mais les photos étaient tout à fait mauvaises et l’idée qu’il était possible de s’en faire après examen était fausse, autant dire que ces photos n’avaient servi qu’à déformer dès le début la représentation des choses, et on s’était rejoints dans la chaleur d’août à l’angle de la place où était installée l’agence, il y avait des terrasses de bar avec des clients nonchalants qui fumaient et parlaient ou non, couleurs écrasées par le soleil dur à cette saison, presque blanc, brume émanant des sols rendant bitume et trottoirs poussiéreux tremblants, d’après les expressions de visage et les mouvements des uns et des autres c’était joyeux, on avait les bras nus et on avait tous chaussé des lunettes de soleil, à partir de là la caméra se contente de suivre le petit groupe qui marche jusqu’au parking proche, pieds alertes sur des surfaces en béton ou recouvertes d’enrobé à froid, mélanges de sables et graviers permettant une certaine perméabilité, l’impression d’un départ en aventure

rien que des images, pas de son, pas d’accès aux paroles échangées

les portières avaient sans doute claqué et la voiture s’était faufilée par la route rapide empruntant des ronds-points encombrés de voitures de tourisme et de camping-cars qui cherchaient leur direction, en arrière-plan les montagnes recouvertes d’un maquis ponctué de rochers blancs, comme un découpage au bord du ciel, impression de sécheresse, dans le défilé rocheux c’était devenu féérique, alternances d’ombres et de lumières fortes, d’où cette impression de noir et blanc, après une série de virages resserrés il y avait des véhicules garés dans tous les sens au lieu-dit les Forces et beaucoup de monde comme à la plage, sueur ruisselant sur la peau, chaleur dans l’habitacle, attention aux enfants qui traversent, et le film se satisfait de raconter ce temps du trajet qui paraît toujours long quand on le fait pour la première fois, il raconte ce soleil saturant les sens et asphyxiant les couleurs mais moins que sur les trottoirs devant l’agence, ces zones de ténèbres qui brusquement absorbaient la voiture, cette rivière vivante, ce hameau plus loin pareil à un repère, ce vieux pont à passage unique qui resterait attaché en mémoire à cette première visite et dont on ne savait rien encore, un peu compliqué à franchir à cause des promeneurs, restait à se faufiler plus haut vers la zone de confluence des deux rivières où s’était installée la vie première, enfin on y était, la voiture s’était garée en épi derrière un bâtiment qui ressemblait à un temple, ensuite c’était à pied que ça se passait, le petit groupe s’était avancé sur une passerelle près d’une fontaine, puis la ruelle là-bas, celle qui conserve plus de chaleur que les autres, les avait absorbés d’un coup dans sa goule

Mon souci : restée reliée au projet, encore assez vague pour l'instant mais bien réel
Le fait de raconter la représentation du trajet, donc le film, bouleverse le point de vue... ça donne une vraie force, enfin je crois... 
(je crois même que c'est là l'objet de la proposition !)

A propos de Françoise Renaud

Parcours entre géologie et littérature, entre Bretagne et Languedoc. Certains mots lui font dresser les oreilles : peau, rébellion, atlantique (parce qu’il faut bien choisir). Romans récits nouvelles poésie publiés depuis 1997. Vit en sud Cévennes. Et voilà. Son site, ses publications, photographies, journal : francoiserenaud.com.

10 commentaires à propos de “#40jours #31 | approche dans la lumière d’août”

  1. Une force dans ton texte, en effet :
    L’entrelacement du film et du trajet, dans ce faux noir et blanc.
    Puissant.
    Merci Françoise !

    • oui, je ne me suis pas décidée tout à fait à écrire en noir et blanc, j’ai choisi une palette écrasée de soleil plutôt blanche et le contraste sidérant avec l’ombre des versants nord humides
      on avance, hein ?

  2. Il y a du vécu dans ce texte. Oui, souvent un film commence par ces randonnées-repérages pour finir en zone inaccessible, par tourner sous le cagnard avec cinquante figurants. Marrant ce goule typiquement du sud-ouest…

    • merci pour l’écho, Michael…
      rester dans le film, se laisser imprégner par la circulation des images de zone d’ombre en zone éblouissante
      « goule » on le dit aussi chez moi en Bretagne… je ne sais pas d’où il m’est venu soudain

    • il faut en effet vivre le soleil du sud au plus fort pour savoir la vibration de l’air, les contrastes, les stridences d’insectes
      et voilà, c’est sans doute dans cette inspiration
      tu as raison, « un film d’été…
      (merci Laurent de cette fidélité)

  3. Parfois les agents immobiliers sont des artistes (cf texte consigne 29 abandonnez la littérature, devenez agent immobilier de Danièle Godard-Livet). J’ai vu que vous habitiez l’Hérault ou proche et je ressens souvent dans vos textes la chaleur du Sud, des paysages si incomparable quand on les foules depuis un moment. La photo est très belle également. A elle seule, raconte un monde. Belle journée

    • j’habite en effet dans une zone de campagne et de petite montagne soumise aux caprices méditerranéens, suis entourée de « paysages » mouvants et impressionnants, donc ça peut resurgir et en particulier dans ce cycle où ma ville à moi est le lieu où j’habite…

      merci pour votre passage, Jen

  4. Oui, ce projet devient bien réel et tu l’enrichis à chaque fois d’un angle nouveau, cette fois par le biais de ces deux films dissonants qui viennent troubler le regard. Très réussi !

  5. on est devenus presque accrocs de nos échos aux uns aux autres, chaque jour nous nous retrouvons à travers un texte, et toujours j’attends ton écho qui ne manque pas de venir, et c’est bien chaud au cœur et stimulation à poursuivre…

    donc cette première visite du lieu (objet de mon cycle) qui m’est revenue en mémoire, justement comme un film, séquence par séquence, cette découverte de la vallée, ma première arrivée au village, étrange et caniculaire…
    merci pour ton passage…