Voir. Regarder. Regarder voir. Aller y voir. Porter un regard. Que vois-je quand je te vous le la regarde ? Qui regarde quand je te vous le la vois ? Questions philosophiques ou organiques. Ou les deux. Un corps en assise sur le sable ou des galets, face à la mer. Une posture allongée modifierait le champ de vision. Un corps qui touche qui sent qui entend qui goûte. Un corps qui voit. Un corps qui regarde. Avec tous ses moi qui cohabitent, gesticulent, s’invectivent. Il y a mille moi en moi. Pas quand je vois. Quand je regarde ce que je vois. Allons voir un coucher un soleil. Un banal coucher de soleil, tellement banal qu’on se surprend à courir le monde pour le voir ici et là, et puis là-bas et plus loin encore. On est au bord de la mer, le soleil est au rendez-vous et on sait qu’il va lentement disparaître. Pendant ce temps, un grand manège se met à tourner.
Moi je vois au premier plan des vagues une vaste étendue d’eau plus ou moins plate plus ou moins bleue verte grise qui s’arrête net sur un trait noir horizontal Au-dessus de cette ligne plus ou moins dentelée une masse ou un volume indéfinissable qui part de cette démarcation s’étend au-dessus de ma tête et se prolonge derrière loin derrière Face à mes yeux sur cet écran légèrement bombé blanc bleu virant à l’orange rougeoyant un disque lumineux plutôt jaune aux contours presque parfaits/ Moi je vois un coucher de soleil C’est comme cela qu’on appelle ce phénomène On ne va pas chercher midi à quatorze heures D’ailleurs il fera nuit dans peu de temps/ Moi c’est idiot de nommer ce que mes yeux voient un coucher Se coucher c’est s’allonger Heureusement que les poètes ont été plus inventifs Une fausseté pareille peut entrainer des erreurs fatales sur des siècles des millénaires/ Moi la boule jaune rouge descend vers le trait noir qui lui vu d’ici ne bouge pas d’un millimètre Ce doit être inquiétant pour un petit enfant ce spectacle d’une lumière éblouissante impossible à attraper qui disparait lentement/ Moi il suffirait de dire à cet enfant que le soleil est parti de l’autre côté de la terre et que demain quand lui petit humain se réveillera le soleil sera à nouveau là Mais c’est inventer une croyance Une de plus/ Moi Plus on cherche d’explications moins on en trouve Il y a là devant mes yeux comme un plan fixe limité par mon champ de vision et sur ce plan défile une succession de comment exprimer cela d’ énergies visibles qui bougent ou que je crois voir bouger comme les nuages qui vont et viennent et ce soleil qui va bientôt disparaitre de ma vue Ma vision du moment de l’instant Unique moment Unique instant/ Moi j’aimerai tant le regarder en face ce soleil énigmatique au point d’en entre aveuglé Une lumière qui fait perdre la vue/ Moi je ne sais pas pourquoi je suis là J’avais tant à faire à la maison Je commence à avoir faim Il parait que des humains se nourrissent de la lumière du soleil Que d’elle rien d’autre/ Moi je demande à voir/ Moi je peux croire à ce que je ne vois pas/ Moi c’est beau/Moi je ne sais pas si c’est beau mais si je suis là c’est que je suis attirée/ Moi je commence à avoir froid/ Moi fais pas ta frileuse/ Moi parfois je sens que d’être ici à le regarder s’échapper de ma vue me rend triste/ Moi petite mort, grande mort/ Moi quand je rentre je pianote sur Internet au sujet de cette nourriture solaire Un peu de ciel bleu avec un beau soleil chaque jour et le tour est joué Mon plat préféré serait le soleil de 13 heures/ Moi pas sûr que ton corps résiste longtemps avec ce régime calorifique/ Moi ou comment mourir d’une overdose de soleil/ Moi j’en reviens à cet écran là devant on dirait qu’il est toujours là et que des images ne cessent de défiler et la nuit et les yeux fermés l’écran est toujours là/ Moi on dirait vraiment qu’il entre dans l’eau coupant la ligne d’horizon du grand art
STOP !
Moi qui parle là il n’y a personne ici Qui me parle On ne voit presque plus rien Mieux vaut rentrer J’ai peur du noir.
« d’en entre aveuglé », creuser, creuset, creux c’est???
et troisième fois en quelques années que ce theremin me tombe sous les yeux, je ne veux plus l’oublier. Merci.
« La joie ne vient pas du dehors. Elle est en nous quoiqu’il nous arrive. La lumière ne vient pas du dehors. Elle est en nous, même sans les yeux. »
Et la lumière fut – Jacques Lusseyran ( Ed Le Félin, coll. Résistance Liberté Mémoire)