#photofiction #09 | Départ

Photo appui : c’est l’automne, grosse voiture américaine devant pavillon de banlieue à Sarcelles, par Nelly Monnier et Éric Tabuchi https://www.archive-arn.fr/liste

Depuis le bus pour le collège et le lycée, combien de fois, on l’a vue ta belle américaine ? Elle devant, l’ancienne entreprise de BTP devenue planque pour gangster en cavale dans un vieux film noir. Vraiment pas discrète avec sa carrosserie deux tons bleu et gris, trop décalée dans la banlieue d’ici, ni New-York, ni Chicago. Elle est à toi cette voiture et tu n’as jamais été chef d’entreprise, ni nouveau riche, ni truand. Tu l’as achetée d’occasion et tu as vécu ici un temps. Tu faisais le manœuvre pour l’entrepreneur propriétaire et marchand de sommeil. On se raconte encore parfois ce dimanche où tu as débarqué, avec ton rêve d’ado, sur le parking en bas de chez nous. Tes coups de klaxon et bientôt, tout l’immeuble aux fenêtres. Retour du père prodigue. Tu as insisté pour qu’on fasse un tour, elle a accepté mais refusé ton double des clés. Nous, un peu honte, mais on est venu. Tu nous as payé un Mac-Do. Impression de mollesse et de lourdeur dans cette voiture. Cette seule fois là, on est monté dedans. La grosse voiture américaine elle rentrait pas dans le garage, ton sommeil inquiet mais les voyous, pas intéressés par ses pièces trop difficiles à écouler. Surtout, glouton en carburant, alors tu roules moins, tu repousses l’entretien et le contrôle technique. Tu essayes même de la louer pour des mariages. Et puis un jour, ton jouet cassé, les réparations trop chères. Tu ne payes plus l’assurance. Depuis, toujours là, devant le petit pavillon de ton ancien patron. Nous, longtemps à passer devant en bus pour le collège et le lycée. Ces soirs où toi, on t’a vu dedans, fenêtre ouverte, une cannette sur le tableau de bord, à fumer. Une nuit, on a reconnu ton coup de sonnette ; vos voix ; la sienne, plus forte ; son casse-toi répété et la porte qui claque. Nous, on a pas bronché de sous nos draps. Au petit déjeuner, elle nous a dit : la fin de ton travail, ton départ pour je ne sais pas trop où. Ta voiture, toujours là. On passe devant et toi, où ?

2018, Automne, Véhicule, Périphérie, Parisis

A propos de Jérôme Cé

Surtout lecteur. Cherche sa voix en écriture avec les cycles du Tiers-Livre depuis pas mal de temps. Un peu trop peut-être. (ancien wordpress et premières participations aux ATL) https://boutstierslivre.wordpress.com/

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