Aurore boréale

Laurent Grasso, The Horn perspective, 2008

a) Ils nous parlent pendant que nous les voyons, nous leur parlons mais ils ne nous voient pas, ne nous entendent pas, les commentateurs du match de foot, bien que nous passions la soirée au salon avec eux, à les regarder et à les écouter, eux qui nous parlent sans savoir que c’est nous là derrière, derrière le verre bombé de la télé de l’époque, cathodique.

b) En face, sur le linteau de la cheminée pile en face, la lueur verte du match à la télé rebondit encore plus courbe sur la surface plastique de la boule à neige. Aux skieurs lugeurs habitants du chalet minuscule ou passagers du téléphérique suspendu au fil de la petite montagne moulée en pic, elle doit ressembler à une aurore boréale, magique, venue d’un astre supérieur.

c) C’est haut. A travers les baies vitrées la vue de la vallée en dessous est impressionnante. Les skieurs lugeurs habitants du chalet sont pour l’instant tout petits. Au fur et à mesure que le téléphérique glissera sur son fil et qu’ils se rapprocheront, ils grossiront, grossiront… Mais, que se passe-t-il ? Un tremblement de terre ? Le ciel semble basculer, le monde se retourner, quand, tout à coup, il neige. 

d) Un temps à ne pas mettre le nez dehors, on n’y verrait rien à travers ces bourrasques de neige dans tous les sens, sur fond de ciel mi- obscur mi- verdâtre, avec des flashs comme des éclairs. Les éléments se déchainent. L’ambiance est apocalyptique. Pauvres skieurs, pauvres lugeurs encore dehors, n’ayant pas pu rentrer au chalet avant la tempête. 

e) Maintenant il fait nuit par la fenêtre. A l’écran la première mi-temps est terminée et c’est parti pour quinze minutes de pubs. Alors on se dégourdit les jambes, parce que c’est pas le tout mais, nous, pendant le match, dans le salon, on court pas, alors là, c’est le moment de se dégourdir les jambes, par exemple d’aller voir à la fenêtre si la nuit est étoilée, et en passant, tiens, de jouer avec la boule à neige sur la cheminée. 

A propos de Vanessa Moriss

— Je ne mange pas la peau des pêches ni la coquille des huitres. Danser ne me fait pas peur. Aimer non plus. Il se trouve que l’art me concerne. Ecrire une liste de course, un mail, un article ou un truc inconnu, est un flux continu.