autobiographies #10 | reflets d’elles

Dans le miroir, au-dessus de la double vasque, son reflet étale la crème de jour d’une main experte, front, tempes, nez, ailes, joues, menton, descendre dans le cou et jusqu’entre les seins, en appuyant fort, comme pour défroisser un dessus de lit. Elle se regarde. Un bandeau retient ses cheveux au-dessus du front, ça lui donne l’air d’avoir un masque de cire. Ne serait-ce les tâches de rousseur et les rides qui cheminent en travers du front et creusent les fossettes. Des rides d’expression, elle dit toujours. Mais là dans le miroir, elle ne se sourit pas. Elle pose le bout des doigts de chaque côté de ses pommettes et pousse. Sa peau se tend artificiellement un instant. Elle a les coins des lèvres remontées en un rictus factice. Elle relâche la pression. Elle se penche. Le rebord du lavabo lui rentre dans le ventre, juste au niveau du nombril. Elle se hausse sur la pointe des pieds et serre les abdominaux. La bouche ouverte, mâchoire étirée, du bout de l’index elle dépose un petit brillant juste sous les cils de la paupière inférieure. Au milieu. Elle retombe sur ses talons et se regarde. Ses lèvres sont fardées de rouge, sa robe argentée est un peu grande, son décolleté arrondi plonge entre les seins volumineux. Ses faux cils, le fard bleu électrique assorti à la pointe de ses cheveux et la petite larme scintillante lui confèrent des allures d’héroïne d’héroic fantasy. Elle brandit son portable, prend une pose lascive et envoie sur la toile. Elle tire sur sa robe, recentre son pendentif. Elle ne se regarde plus dans la glace. Elle prend un comprimé de Deroxat sur le meuble et l’avale avec une gorgée d’eau qu’elle cueille directement sous le robinet. Elle lève le menton, l’air fier, cigarette à la main, et déclenche à trois reprises l’appareil photo calé en équilibre sur le rebord du lavabo. Derrière la voix de Whitney Houston qui crie I wanna dance with somebody dans le poste, elle entend des mouvements dans le couloir. Elle manque faire tomber l’appareil photo, qu’elle balance dans le placard, sur les serviettes, éteint sa cigarette sous un filet d’eau, jette le mégot par la fenêtre qu’elle laisse grande ouverte. Elle appuie longuement sur l’aspergeur de déodorant. Tousse. Attrape une poignée de carrés de coton dans le sachet suspendu à un crochet, les arrose de démaquillant et s’efforce de faire disparaître la poudre des joues et des lèvres, les lourds traits de crayon des paupières et le rimmel des cils. Sa mère lui trouvera le teint « un peu orange » tout à l’heure dans la cuisine.  

A propos de Helene Gosselin

Un peu de sociologie de l'imaginaire, quelques années de journalisme à Montpellier. Mise au vert en Lozère. Venue ici par un heureux concours de circonstances. M'y accroche. Dévide, fouille, cherche sous les doigts.