#gestes&usages #01 | Avant la nuit

A cause de la couleur des draps, déjà jaunis par d’autres avant moi, du bleu glacé des barrières métalliques qui encadraient mon lit, de la pâle procession de blouses blanches venues écouter un cœur dont on osait rien dire, et bien qu’à peine embarquée sur le grand navire, la vie se dérobait, silencieuse. Mais il y avait ma mère, fidèle au chevet qui attrapait ma main de petite fille et la frottait pour y ramener le sang, promenait le bout de ses doigts roses sur mon front pâle, me comptait le dehors, ses odeurs de glycine naissante, ses sons orangés à l’aube, la perdrix qui picorait nos graines et la foule à Erdeven. Que c’est marée haute, que j’aimerais la force des vagues, que j’en aurais peur aussi mais que je m’y jetterais sûrement. Elle m’apportait les dessins bariolés de toute une classe et leurs messages d’enfants contenus dans un grand carton que j’ouvrais pour m’enfuir, pour me souvenir qu’avant d’être presque morte, j’avais huit ans. Pour m’endormir elle susurrait des mélodies d’oiseaux rares et de soirs de fêtes, de foules déguisées, de contrées secrètes serties d’argent avant de s’assoupir, pliée en deux pour me garder dans sa main chaude. Je n’osais pas bouger jusqu’à ce qu’elle se détache, glisse le long de ma jambe, se réveille en sursaut. Elle se levait alors, déposait ses lèvres sur ma joue, touchait encore mon front et s’assoupissait dans le cuir froid d’un fauteuil qu’elle plaçait tout près. Sentir le frôlement de ma mère s’estomper après son baiser, le rythme régulier de son souffle tiède à quelques centimètres à peine de mon visage, c’était la vie, encore possible avant la nuit.

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