#gestes&usages #01 | gestes en bleu et rouge

A cause de la phrase le ciel est bleu, les briques sont rouges, se laisse revoir grand-père la prononçant mais pourquoi une affirmation enfantine tranchée comme un vers libre avec les deux piliers de son verbe être et de ses couleurs bien nettes te demandes-tu sous le ciel gris de la cité-jardin du Chemin Vert en lui emboitant le pas sans oser lui poser la question parce qu’au fond tu devines la réponse qui n’en est pas une  en toutes circonstances il fait beau avec à la clé son émotion liée aux briques du Nord natal comme aux deux guerres traversées comme à son grave accident de la route le ciel est bleu les briques sont rouges prend là sa source il garde son manteau parce qu’il fait toujours froid dans la nef et tout de suite  va vers l’armoire imposante avec le premier geste changer de chaussures prendre celles rangées en bas sous les encensoirs bien nouer les lacets elles sont lourdes grand-père il faut bien ça pour le pédalier que  toi tu ne peux pas atteindre assise à côté de lui ses pieds dansent sur les longues touches de bois et il te montre comment jouer sur l’un des claviers du haut l’air du grand saint Nicolas à partir duquel ensuite il improvise faisant scintiller la musique organique sous les voûtes peintes avec pluie d’étoiles sur le fond bleu qui t’absorbe non la chanson de Saint Nicaise n’existe pas avec sa voix râpeuse il demande aux petits-enfants encore menus de se faufiler dans la forêt des tuyaux en leur donnant des indications pour améliorer le son insufflé  et il grimpe sur l’échelle il y a encore autre chose à ajuster pour que les notes s’échappent en beauté c’est pas tout ça il faut y aller  il commence par remettre les chaussures ordinaires

mais il n’est plus là le ciel est bleu les briques sont rouges les temps ont changé et ton autre est venu plus tard là où tu avais ouvert le geste d’attendre encore un peu il est venu  comme prendre le relais  comme éblouir comme jouer d’ un autre instrument et tu l’as regardé dans l’atelier enlever lentement  ses chaussures  se pencher sur la feuille offerte au sol diluer au  creux de la  porcelaine un bleu gris de Payne  ou un rouge coulant dans les veines dans un peu d’eau puis le pinceau au-dessus en attente sans se poser tournant lentement comme l’aigle apercevant de loin ce qu’il s’apprête à ravir avant de fondre sur le papier translucide sans l’ombre d’un repentir le geste délivré de ses scories il te dit la danse du pinceau et tout autour les murs de briques rouges de la Ruche font silence comme un grand four à bois dans lequel porté à haute température le lit de fusion donne le verre bleuté  posé tout près de toi maintenant que ton autre a traversé à son tour sans remettre ses chaussures l’espace qui te reste quand tu suspends à l’instant pieds nus toi aussi le geste d’écrire la danse au-dessus du clavier pour être à la fenêtre  là où le ciel est bleu les briques sont rouges  

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.

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