Chaises

Il faudrait s’asseoir CHAISES je ne sais pas choisir laquelle elles sont trop nombreuses dans cette grande pièce vide sans personne CHAISES qui s’enfuient et me font peur il n’y a personne dans la grande pièce vide trop nombreuses les CHAISES je voudrais m’asseoir car je suis fatigué j’ai beaucoup marché depuis le chant du coq mes pensées sont désordonnées pas comme ces CHAISES en rang et impressionnante d’immobilité je pourrais en déplacer une oui mais laquelle et cela se verrait une manque dans cet amas de CHAISES qui n’ont pas toutes la même forme certaines sont confortables et moelleuses d’autres sont carrées et dures comme du granit il faudrait s’asseoir je suis si fatigué je n’en peux plus d’avoir errer dans la ville toute la journée impatient de venir ce soir comment trouver sa place au milieu de ces CHAISES pas un bruit à peine l’écho de mon souffle affolé plutôt épuisé mon souffle à bout de souffle et mon corps rêve de CHAISES je suis arrivé trop tôt comme d’habitude je suis le premier et je ne sais pas où me placer dans ce magma brûlant de CHAISES dedans c’est encore plus la fournaise que dehors et pourtant j’aime la canicule j’aime étouffer de chaud être assommé par la chaleur je suis trop fatigué maintenant pour réfléchir décider choisir où m’asseoir dans cette salle CHAISES alignées comme à la bataille je suis le soldat sacrifié qui va mourir de n’avoir pu s’asseoir de n’avoir pu saisir et mettre au pas une CHAISES rien sur scène ne me permet de déterminer le meilleur placement pour voir le spectacle plateau nu sans aucun accessoire ni le moindre élément de décor à part des CHAISES en couleur empilées dans un coin CHAISES plus douces et plus arrondies la promesse d’un spectacle apaisant et joyeux CHAISES en totales contradiction avec les CHAISES froides et menaçantes de la salle je vais bientôt m’écrouler mes pieds sont douloureux mes mollets tétanisés tremblent à force de crispation CHAISES comme mon salut après des heures de fuite CHAISES refuges après tant d’angoisses quotidiennes CHAISES ma survie dans un monde de brutes qui explose d’agressivité dehors CHAISES repos obligatoire et impossible je fais un nouveau pas en avant comme si j’avais enfin choisis mon camp, ma destination finale, mon havre de paix pour me laisser aller à profiter de la représentation de ce soir CHAISES une fois assis je ne pourrais peut être plus me lever cela fait peur CHAISES qui emprisonne qui avale qui engloutit et qui enserre à jamais CHAISES n’est pas de tout repos même quand on est épuisé est-ce que je pourrais atteindre une des CHAISES salvatrices une des CHAISES qui me sauvera du naufrage de ma vie une des CHAISES qui aimera le poids de mes fesses je pourrais enfin enfin enfin m’asseoir trouver la paix le repos la tranquillité du corps fatigué la première des CHAISES n’est pas loin je doute j’hésite je me méfie est-ce que ces CHAISES sont solides fiables raisonnables est-ce que ces CHAISES ne vont pas se casser s’affaler craquer d’un coup et me laisser tomber par terre comme une vulgaire chaussette usée tellement de CHAISES sont fourbes et fuyantes si nombreuses sont les CHAISES qui m’ont joué de sales tours je garde les stigmates de leurs agressivités sur mon corps CHAISES séductrices qui m’appellent et seraient ravies de profiter de ma très grande fatigue pourtant il faudrait s’asseoir et dormir prendre un peu de repos décontracter tout le corps je ne me souviens plus depuis quand je ne me suis pas assis c’est pour cela je ne peux plus faire confiance aux CHAISES on ne se connaît plus il faudrait s’apprivoiser à nouveau cela serait si facile de saisir une des CHAISES de l’éloigner de l’isoler de l’écarter du troupeau elle se sentirait moins forte et pourrait peut être enfin entendre ma complainte du marcheur doublement cuit par la canicule et par des heures de marche continue sans jamais de pause ni de CHAISES où s’asseoir il me semble que toutes les CHAISES de la ville sont ici je n’ai croisé aucune CHAISES lors de ma déambulation pas dans l’espace public pas sur les terrasses des cafés vides ou alors tout le monde était debout comme si les CHAISES avaient fuis la chaleur pour venir ici voir un spectacle avec des traitresses des danseuses des aguicheuses qui se la jouent sur scène CHAISES colorées et festives qui joueront sous le regard réprobateur de leurs consoeurs qui vomissent tout ce qui ne pas utile et stable, les CHAISES c’est fait pour servir à manger à lire à se reposer à faire une conversation avec des amis à rendre agréable un intérieur de maison ou attractif une terrasse pas à danser la java sur la scène d’un théâtre il faudrait s’asseoir CHAISES

A propos de Xavier Galaup

Bibliothécaire en Alsace, j'écris poésies, nouvelles et textes courts depuis de nombreuses années.

8 commentaires à propos de “Chaises”

  1. J’aime bien cette angoisse face aux chaises, à la fois très concrète et absurde, « je ne peux plus faire confiance aux chaises »: j’adore !

  2. Cela en devient obsessionnel ces CHAISES… Quant aux FAUTEUILS, n’en parlons pas ! Votre texte m’invite à penser aux chaussures, traîtresses tout autant.

  3. Un texte qui semble à propos de rien et qui traduit pourtant tellement bien l’epuisement du corps au bout du rouleau et la solution simple est à portée mais sans cesse post posée, très réussi, merci et j’adore qu’il faudrait reapprivoiser les chaises qui ont perdu l’habitude de lui…

  4. J’aime bien ces CHAISES aussi, que me renvoient au sentiment des salles vides, des « où m’asseoir ? » « quel est pour moi le meilleur endroit, la meilleure chaise pour être là ce moment-là ?  » ;
    Je me dis que ce texte répond aussi à la nouvelle proposition 4, non ?

  5. oui, j’ai déjà éprouvé ce désarroi quand j’arrive trop tôt et que je n’arrive pas à choisir un siège parce que mes pensées tournent à vide, n’ arrivent pas à se rassembler et, PAF, je finis par m’ asseoir à la place la moins adéquate pour profiter du spectacle…
    Votre texte traduit bien ce mal-être et sa complexité