des murs phares

Réciter le décor à haute voix :  première maison rose sale, volets verts pâles, géraniums rouges et mauves aux fenêtres. En face un magasin de jouet qui clignote le temps des fêtes, un père Noël mafflu aux gestes saccadés en vitrine, flanqué d’un renne idiot qui ouvre et ferme la bouche en cadence. Plus loin un bar miteux avec trois tables poisseuses en formica jaune, une pour chaque poivrot noyé de pastis.  Des façades anonymes, toujours aux volets verts pâles écaillés. La marque du lieu.

Un vaste îlot d’habitations, entouré d’une palissade. Par un trou, on peut découvrir des murs à moitié écroulés. Des poutres gisent, monstres dormants, insupportables de noirceur. Il reste des pans de mur intacts, des lambeaux de papiers peints, des morceaux de couleurs fanées. Un évier pend, le robinet ouvert sur le vide. Les passages abandonnés exhalent une forte odeur de pisse et de merde par endroits. Des graffitis marquent les territoires des exclus. Des papiers gras roulés en boule, des kleenex usagés, des sacs plastiques, des capotes usagées, des seringues brisées jonchent le sol défoncé.

La Ville bouge, décalage à peine perceptible. Une rue empruntée le matin et qui disparaît le soir. Une autre qui change de décor la nuit venue. D’artère pimpante et dynamique, avec les derniers rayons du soleil rasant, brusquement un décor post nucléaire envahi de plantes, de façades aveugles et noircies, des bris de verres, un vent aigre  sans paroles, un vent abandonné. Un clignement de paupière et tout rentre dans l’ordre. La Ville comme un masque de carnaval.

 Rez-de-chaussée de la gare. Plusieurs sorties sur différentes rues. Plus bas, au sous-sol,  vrombissements du métro, galeries carrelées en vert et blanc , carrefour de direction. Bars, fleuristes, restaurations rapide, kebabs, chinois, indien, un magasin de gadgets, de serviettes de bains, les toilettes publiques, des cartes postales, des journaux, quelques mendiants ( très peu). Une foule continue va et vient, d’en bas,  d’en haut, de côté, tunnels, boyaux, souterrains, flashs, obscurité, tuyaux, néons, fantasmes glacés. Collision drive, Alan Vega. Shoot ! Shoot ! C’est la fête for haine.  

Une chevelure de feu en haut d’un immeuble sans vie. Pourquoi cette couleur fauve ? Une erreur de la bétonneuse ? Un trait d’intelligence humaine ? Une simple lampe posée sur un toit ? Une obsession létale d’une fin qui ne vient pas ? Le phare est là, incongru. La rue se fige dans la nuit, asphalte dérangé qui coule vers les quais aux pavés disjoints. Le bruit d’une sirène, un appel de brume, résonne entre les immeubles hauts. Un écho de terres lointaines au milieu des fenêtres cages encore éclairées rythmé par un feu clignotant, orange sombre.

A propos de Guy Torrens

Guy Torrens est né en 1952 à Alger. Après des études de philosophie, il se tourne vers le métier d’éducateur auprès de jeunes délinquants. Il anime des ateliers d‘écriture créative à Marseille où il réside. L’écriture et la scène : Chanteur parolier de trois groupes de rock punk ( Fin de série, Dirty Bitch, L.V.3.S) de 1985 à 1995. Tournées principalement en Allemagne, Pologne, République Tchèque, Belgique. Das Klub. Scène vide. La nuit a digéré les derniers spectateurs. Claquements répétitifs d’un soupirail mal fermé. Rythmique minimaliste. « Port de l’angoisse, je bois tes mots, pas tes lèvres. » Les derniers mots flottent encore. Martèlement des pieds, jets de bière, éjaculations spectaculaires. L’écriture et la nécessité : Après la mort de son compagnon qui a partagé sa vie pendant 25 ans, il se consacre entièrement à l’écriture. Poèmes, romans, nouvelles, pièces de théâtre. C’est le bruit du moteur. La mort ne fait pas de bruit. Une fuite sidérée. Celle des rêves. Sombre était le jour, sombre était la nuit. On vivait dans cette opacité, propre à rendre fou, n’importe quel homme normalement constitué ; Le message arriva le matin du 2 janvier. Un cri d’année nouvelle. Anonyme. « La vie n’est qu’un sillon, celui qu’on ne peut tracer, les nuits d’errances sont des meurtres. »

2 commentaires à propos de “des murs phares”

  1. je n’arrive pas effectivement à m’en éloigner longtemps. Merci pour ce commentaire si juste.