#enfances #07 | Le bureau ministre demi-caisson à hauteur d’enfant

Robuste, patiné et à taille d’enfant, le bureau ministre demi-caisson a statut de jouet pour qui ne sait encore ni lire ni écrire mais, par imitation ou vocation précoce, feint de noter, de calculer, de signer, de raturer, de tamponner la paperasse amassée et jalousement rangée dans ses tiroirs aux grincements efficaces: blocs Rhodia, livres de comptes périmés, papiers à en-tête, carbones et calques. Le bureau ministre demi-caisson à hauteur d’enfant donne corps aux désirs d’écritures administratives et comptables. S’il ne suggère à son occupant aucune fiction à écrire, il lui offre cependant un abris quand on le couvre d’un drap et, partant, il permet un certain nombre d’aventures. Son usage est plutôt de l’ordre de la cabane. On y aménage un semblant de cuisine ou de chambre à coucher. Il suffit pour cela d’aligner les flacons de parfum sans contenu et la dinette dépareillée, le drap faisant office de porte d’entrée.

Contrairement à l’armoire jamais bien fermée, contrairement au bois de lit n’offrant qu’un dessous sans fond, il n’y a rien à craindre du bureau ministre demi-caisson à hauteur d’enfant. Il serait même un visage ami dans le bestiaire de la chambre. De nuit comme de jour, il évoque le refuge et, pour un peu, il inviterait même à l’embarquement. Juché sur son plateau d’encre tâché, il ne serait pas impossible de descendre un Zambeze. On aurait la certitude de négocier les méandres comme on fait ses comptes, un tampon par-ci, une signature par-là. Dans les remous infestés de crocodiles, il serait un laisser passer, et les crocodiles trembleraient, ils blêmiraient, on en ferait d’inoffensifs lézards se cachant dans les souches putrides. Le bureau ministre demi-caisson à hauteur d’enfant, clame, à sa façon d’honnête fonctionnaire de l’époque coloniale, que l’ordre et la raison vient à bout de toute adversité. Fais tes comptes, pointe, pointe, ajuste et traque l’erreur, pointe, pointe, ajuste, ajuste, fais tes comptes !

Et quant à s’échouer sur un banc de sable, disons-le, c’est ce qui arrive lorsqu’on descend les fleuves impassibles. Le sel et l’humidité des mangroves l’enracineront, il retournera à son état premier et, du demi-caisson en chêne d’Europe, perceront et jailliront lianes et palétuviers. Thuriféraire des pneumatophores, centaines de milliers de doigts pointant, pointant vers le ciel, au rythme des marées, le bureau ministre à hauteur d’enfant s’ouvrira à l’expertise anoxique, comptable désormais du remugle et des remuements du monde.

A propos de Pedro Tarel

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