#été 2023 #9bis | rue Labourse

Le hublot est devant. Derrière il y a la grande boîte blanche, pure, un monolithe. Sur celle-ci pas d’aimants rigolos en forme de bateaux vikings ou de sabots ou de camembert. On n’a pas tellement le temps de rigoler avec les repas, on ne rigole pas avec les repas, on ne rigole pas avec le frigo. Il n’y a qu’une seule personne qui sait ce qu’il y a dedans. Une seule main au bout d’un seul bras pour ouvrit la boite géante, Un jour Lara Quand le vent a tourné Un jour Lara Ton amour t’a quitté. Alors où est-ce qu’on met les cartes postales ? Celles avec des robes traditionnelles, des coiffes traditionnelles, du tissu qui dépasse du carton ? Peut-être dans le plat. On me dit plat en grès, on me dit coupelle à fruits en grès. Coupelle à fruits parce que c’est large, mais il n’y a pas de fruits dedans, ici on ne mange pas de fruits. En grès parce que c’est synonyme de riche. C’est plutôt de la céramique, mais on dit plat en grès, pour se hisser un peu. On ne se mouche pas du coude, c’est l’expression (en fait, on a des mouchoirs bien repassés, elle en a gardé trois dans la table de chevet, trois qu’elle n’utilise pas, ils sont raides parce que vieux, repassés de longtemps). Le grès c’est prestigieux. Grès, gré. De gré ou de force (c’est l’expression). Gré, grès, nous, on a un problème d’accents. Molière, meulière. Foille, moble (on prend une foille pour écrire dessus, on époussette les mobles). T’as l’accent parisien (c’est ce que les autres me disent, me diront quand j’irai à l’école dans un an). Je n’habite pas Paris (je ne suis jamais allée, je ne connais pas). Sauf par ouï-dire. Que l’on touche à la liberté Et Paris se met en colère Et Paris commence à gronder Et le lendemain c’est la guerre. J’apprends ces jours-ci (hier ? quelques vingt mille quatre cent quatre jours plus tard?) que Mariano avait son échoppe de cordonnier rue Labourse. Elle me dit rue Labourse, comme elle dit moble et foille, en fait c’est rue de la Bourse ? Je cherche des photos anciennes de la rue de la Bourse, vers 1920, avec si possible un cordonnier, évidemment je ne trouve rien, qu’un grand bâtiment grandiloquent, style napoléon quelque chose, évidemment, puisque je n’ai pas le bon accent. L’évier est à côté de la machine à laver. C’est logique, à cause du tuyau pour la vidange. Enfin, je le suppose maintenant, je ne suis pas assez haute pour voir, Il n’ira pas beaucoup plus loin La nuit viendra bientôt Il voit là-bas dans le lointain Les neiges du Kilimandjaro. Et Bernarda Lancia, elle venait d’où ? Pas de la famille Lancia (l’alpha de chez Lancia, dirigée par Vincenzo sort des ateliers de Turin en 1907, à sept cent quatre-vingt-un kilomètres de la place de l’église San Bernardo qui donna son nom à Bernarda, qui nomma ma mère Bernardine). C’est le problème avec les archives de pauvres, on ne retrouve rien. C’est le problème avec les hublots en inox, ça fait longtemps qu’ils sont partis à la casse. Je ne sais pas si ça peut fondre l’inox. Je raconte toujours les mêmes histoires, toujours la même histoire, avec le chemin de poussière, les camions de l’usine, et les tas, les tas de fonte, d’acier et de métal, vieilles machines à coudre, radiateurs, portants, tringles, amortisseurs, cuves, des tas de morceaux de choses qui seront fondues pour fabriquer je ne sais quoi, si je sais, des bollards, on les voit sur le port, on accroche les bateaux dessus, le sang des poissons coule, on est brassés, si tu savais, on est brassés, comme la lessive et c’est rien de le dire, ça sent bon, on reste assis, les jambes croisées en tailleur, à l’indienne, chez nous on dit à l’indienne, Feel I’m goin’ back to Massachusetts Something’s telling me I must go home. Mais non, que je suis bête : la rue Labourse, elle est à Gentilly. Mais je ne trouve pas de cordonnerie. On ne l’a pas prise en photo vers 1920 pour en faire une carte postale qu’on ne colle pas sur le frigo avec des aimants rigolos. Voilà. C’est une grande malle. Dès qu’on veut tirer sur un bout qui dépasse, quelque chose d’autre le recouvre. C’est aussi bien rangé que ma boîte à couture, c’est-à-dire pas. Tu prends les ciseaux, un fil vient, avec sa bobine collée à un scratch cousu à un bouton, et puis les bandes élastiques et les épingles se serrent entre elles comme si elles s’aimaient d’amour tendre, un petit poisson un petit oiseau, Mais comment s’y prendre Quand on est dans l’eau.

(la rue frileuse n’est pas très loin, à quatre minutes il paraît, même si elle ne s’appelle plus comme ça)

A propos de C Jeanney

or donc et par conséquent, je fais ce que j'ai à faire sur mon site tentatives

7 commentaires à propos de “#été 2023 #9bis | rue Labourse”

  1. je me souviens qu’il y a longtemps, je passai en auto ou en car je ne sais plus bien mais sur l’autoroute, en bas de l’église, là, là où ils s’épousèrent, revenant de je ne sais où, avant de rentrer dans Paris – intra muros dit l’imbécile qui regarde le doigt quand on lui fait écouter une chanson (quand un amour fleurit/ça fait pendant des s’maines/deux cœurs qui se sourient)

    • oui, ils s’épousèrent là, après avoir dansé au bal (Je ne sais pourquoi j’allais danser à Saint-Jean au musette … comment ne pas perdre la tête etc :-))

  2. Un environnement que je connais bien, qu’est-ce qui a déclenché ce passage ? Il s’inscrit dans qqch de plus large ? Je ne sais pas pourquoi, ça me donne envie de relire du Jules Valles

    • en fait je suis partie avec la 9 dans une scène (le hublot de la machine à laver vers 1967) et ça s’est dirigé (la cuisine, le couloir de la cuisine) vers cette rue là (mais c’est toujours la même histoire que je passe mon temps à raconter 🙂 (depuis la proposition 1 et bien avant, depuis le début en somme)
      (Jules Valles, je vais lire pour voir si un bout s’approche de mon magma bazar)

  3. Ce que j’aime dans ton écriture Christine c’est la densité dans l’économie. Ton écriture a une puissance évocatrice avec une économie de mot incroyable. Je dis puissance parce que les mots ouvrent sur un monde émotionnel avec une texture presque organique, une écriture corps qui se déploie et se délie. J’ai beaucoup aimé le passage sur le frigo, sur l’accent et la boîte à couture. « C’est une grande malle. Dès qu’on veut tirer sur un bout qui dépasse, quelque chose d’autre le recouvre. C’est aussi bien rangé que ma boîte à couture, c’est-à-dire pas. Tu prends les ciseaux, un fil vient, avec sa bobine collée à un scratch cousu à un bouton, et puis les bandes élastiques et les épingles se serrent entre elles comme si elles s’aimaient d’amour tendre, un petit poisson un petit oiseau, Mais comment s’y prendre Quand on est dans l’eau. » Je suis attentive à ton exploration. Merci