#été2023 #04bis | Dans la nuit de samedi à dimanche

Photo copyright V. Queyrel

Dans la nuit de samedi à dimanche, il y a eu beaucoup de trafic. La plaque d’égout située au coin sud du jardin fait un bruit sec lorsque les pneus des voitures la traversent. Un bruit suffisant pour la réveiller. Cette nuit-là elle ne dormait pas encore. Pourtant elle s’était appliquée. Rien ne lui avait échappé. Elle avait pris le soin de fermer les volets, de laisser la fenêtre ouverte dans l’espoir d’un peu de frais. Elle avait encore pris le temps de vérifier tous ces détails, assise au bord du lit, avait arrangé l’oreiller, lissé les plis du drap. Allongée, elle avait éteint sa lampe de chevet, cherché quelques minutes une position confortable. Elle était allée jusqu’à fermer les paupières.

Dans la nuit de samedi à dimanche, le bruit assourdissant de la plaque d’égout dérangée par les pneus des voitures ne l’a pas gênée pour s’endormir. En général, elle s’endort assez facilement. Depuis son plus jeune âge, elle a entendu, ses parents, ses oncles, ses tantes, ses grands-parents dire d’elle qu’elle était une « grosse dormeuse ». C’est une époque trop lointaine pour qu’elle puisse affirmer avec certitude d’avoir eu la sensation de dormir bien et beaucoup. Mais elle se souvient parfaitement qu’on le lui fasse constater. Peut-être avait-elle pris l’habitude de mieux dormir suite à ce constat ?

Dans la nuit de samedi à dimanche, c’est le bruit insupportable de cette plaque d’égout qui la réveille. Le trafic est pourtant faible. Elle a le sommeil léger. Il suffit d’une seule voiture, une unique plaque d’égout. Ce n’est qu’un détail. Elle le sait. Avec l’habitude, elle n’ouvre pas les paupières et se rendort vite. Elle a pourtant le temps de compter plusieurs passages de plusieurs voitures résonner sur la plaque de fonte. Les yeux fermés. Dans le noir de plomb.

Dans la nuit de samedi à dimanche, elle s’est rendormie très vite. Elle se souvient à son réveil des plis du drap sous son corps allongé, de la forme de l’oreiller sous sa tête. Et même d’avoir éteint la lampe de chevet. Un détail la trouble : la fenêtre de la chambre est fermée. Le soleil incline peu à peu ses rayons au travers des lattes en persiennes du volet. La chaleur étouffe. Il n’y a pas un brin d’air.

Dans la nuit de samedi à dimanche, aucune voiture n’a roulé sur aucune plaque d’égout. Les draps, l’oreiller, la lampe de chevet, la fenêtre jusqu’aux rayons de soleil transperçant le volet — absolument tout — est à sa place. Même son corps n’a pas bougé. Ses paupières ne se sont pas fermées. Ou alors juste le temps de battre des cils.

Dans la nuit de samedi à dimanche, elle a gardé les yeux grands ouverts. Toute la nuit. Elle a lutté pour empêcher son corps de sombrer dans le confort du sommeil. Elle a tendu l’oreille aux bruits assourdis de la plaque dans la rue. Elle a compté et recompté les plis du drap sous elle. Elle a malmené son oreiller jusqu’à la crampe. Elle a aussi cédé à l’envie d’allumer sa lampe de chevet. Mais la fatigue a gagné. Elle ne s’en souvient plus. Elle a bien dû se lever à un moment ou un autre pour ouvrir la fenêtre. À la recherche d’un peu d’air.

Dans la nuit de samedi à dimanche, l’a-t-elle rêvé ? Elle ne rêve jamais. Ou du moins très peu. Quelques fois, il lui est arrivé de garder le souvenir d’un rêve. Alors, dès son réveil, elle prend le temps d’allumer sa lampe de chevet, de s’assoir au bord du lit et de noter tous les détails de ce rêve pour ne pas les oublier en se rendormant. Quelques fois, il lui est arrivé de ne pas se rendormir.

Dans la nuit de samedi à dimanche, il n’y a eu aucun bruit. Les draps étaient frais. Elle a vérifié tous les détails. Son corps est resté confortable. Aucun trafic n’est venu déranger son sommeil. Elle peut affirmer qu’elle a dormi profondément. Bien et beaucoup. Elle n’a pas encore ouvert les yeux. Elle a le temps. Au travers de ses fines paupières fermées, les phares blancs d’une voiture éclairent sa lampe de chevet plongée dans le noir. Pourtant, elle n’entend plus le gémissement de la plaque d’égout au coin sud du jardin. Exactement le même détail qu’elle note toujours de ses rêves. Dans ses nuit de samedi à dimanche. Est-et-ce un rêve? Depuis quand n’a-t-elle plus rêvé ?

A propos de Géraldine Queyrel

Vend des rêves dans la vie réelle Rêve de fiction le reste du temps. Son blog : antepenultiemefr.

2 commentaires à propos de “#été2023 #04bis | Dans la nuit de samedi à dimanche”

  1. J’aime beaucoup la scansion de la plaque d’égout, des textes qui s’enchaînent comme le roulement des voitures… sur la plaque d’égout.

    • Merci Betty. Lorsque l’on dort dans le noir complet il n’y a plus que les bruits connus et rassurants ou inquiétant. Et le toucher qui relie au connu( le drap, l’oreiller). La vue n’intervient que dans les rêves… y’a t’il du bruit sur les images rêvées ou ce sont des sortes de «  sous titre ». Une sorte de dialogue intérieur? Je me suis souvent posée la question ?