#été2023 #00 | S’il n’y en avait qu’un

Je ne me souviens que du choc. Rien ne m’y avait préparé. J’avais emprunté le livre comme à mon habitude, le sélectionnant un peu au hasard. Un livre, en format de poche dont la couverture avait été cartonné pour en multiplier les usages. Il était écorné, jauni et tamponné du sceau rouge de la bibliothèque municipale. Mais sous son apparence banale, le texte déterrait tout ce qui était caché en moi, il creusait des sensations à peine audibles. Il disait à voix haute ce qui se murmurait mais n’avait pas encore éclos en moi. Comment savait-il? J’observais incrédule les mots écrits noir sur blanc, le papier à gros grain du folio entre mes mains. J’avalais les paragraphes, j’engloutissais les chapitres. Je restais bouche bée. Je n’allais pas trop l’ébruiter.

C’est comme si avant lui, je regardais le monde par le trou de la serrure et qu’il avait brusquement ouvert la porte. Tout faisait sens à présent et tout se dérobait en même temps. Un grand saut dans le vide, j’avais bien imaginé l’attraction du vide, mais pas l’atterrissage. Je suis un peu effrayée par le pouvoir de ces mots, mais je sens appartenir à une nouvelle famille. Elle prend pour image ce vieil homme au regard torve. Ainsi se termine l’enfance, sur un banc du parc, à observer les racines d’un arbre. Reprendre une vie normale après ces mots m’est impossible, ils ont dégoupillé en moi une nouvelle existence, une nouvelle personne.

J’ai rendu le livre à la bibliothèque. Puis j’en ai acheté un exemplaire à la librairie et je l’ai déposé sur l’étagère de bois qui me sert de bibliothèque. J’ai avalé les kilomètres, j’ai englouti les années. J’ai transporté mes livres dans des cartons, j’ai changé de maison, de ville, de pays. Le roman a échappé à toute les purges, tout en restant clos. Ses pages jaunies par le soleil sentent la poussière le jour où je décide de le réouvrir. J’ai peur, je crains que la bombe n’explose à nouveau. J’entre dans les mots, je glisse, en quête des émotions qui ont laissé cette trace en moi. Je retrouve la musique, le paysage et bien sûr le personnage. La nostalgie m’envahit mais il n’y pas d’explosion. Je suis à la fois soulagée et déçue, le livre aurait-il perdu de son pouvoir ? Je lis en diagonale, saute des pages, je cherche la scène de l’arbre. Finalement, je la retrouve comme la photo d’un vieux parent, elle est là, elle n’a pas bougé. C’est moi qui ai grandi.  

A propos de Irène Garmendia

Lectrice par amour des mots et des histoires. Voyageuse immobile, perdue entre plusieurs langues, a récemment découvert le jeu d'écrire.

2 commentaires à propos de “#été2023 #00 | S’il n’y en avait qu’un”

  1.  » le texte déterrait tout ce qui était caché en moi, il creusait des sensations à peine audibles. Il disait à voix haute ce qui se murmurait mais n’avait pas encore éclos en moi. Comment savait-il?  »
    On ressent si bien l’onde de choc du texte puis le temps qui passe, la lectrice a grandi. Très fort, si juste. Merci Irène

    • Merci Muriel de votre lecture, il est de ses livres qui marquent à jamais.