#été2023 #01 | 41° 45′ 33″ nord, 70° 00′ 01″ ouest

Une machine à écrire. À côté une boîte en bois. Le couvercle est ouvert. Entre cette boîte et la machine à écrire : une voix off pendant que sur le papier enroulé autour du cylindre, au-dessus des barres de caractère, chariot au repos, on devine les phrases d’un journal. C’est un scénario. Chaque objet de la boite lui a appartenu. On passe près d’eux au ralenti, sans s’appesantir, ce qui compte c’est partir quelques années en arrière. C’est là que ça commence. Toi aussi tu as un petit coffre et des objets miniatures autour de toi. Une compétition de l’objet le plus petit s’organise – le gagnant est celui qui disparaît – et puis le phare de Cap Cod. Posé devant les livres sur les étagères à crémaillère. Il ne suffira pas de cliquer pour déclencher un son de pluie, d’écoulement, de cascade, de ressac. Tu scrutes ces objets – un manège circulaire pour en sortir quelque chose que tu n’as pas voulu oublier. Ici on passe dans le film.

Chaque objet lui a appartenu et une phrase aussi. La voici, avec un petit effort de mémoire, « Elle disait moi j’ai adoré Diabolo Menthe. Et cela m’énervait à chaque fois ». On te souffle quelque chose à l’oreille, une de ces fois complices, rares entre vous. Mais laquelle. Ce phare miniature de Cap Cod. Un peu kitch. Pourtant joli objet. Comme un miroir. De l’autre côté : la baie. Le voilier. Des distances trop larges. Tu poses ce phare sur l’étagère. À côté il y a un coffre en bois que tu t’es accaparé comme s’il t’était dû. Le coffre, le phare, la bibliothèque. Et puis « le plus petit jeu de cartes du monde », et puis une sciure de papier dans un flacon. Les bris d’un vieux tome d’encyclopédie découpé à la tronçonneuse. Ton père est venu couper cet arbre, un bel arbre de Judée qui prenait trop de lumière devant l’appartement, l’idée t’est venue de cette découpe. Le tronc d’arbre, un volume de l’encyclopédie. Tu as ri comme jamais en le voyant découper le volume dans un bleu de travail vert.

Tu conserves cette poussière de mots dans un flacon. Devant le volume des œuvres complètes de Nathalie Sarraute. Puis un poids de 50 grammes et un caillou avec le mot amour gravé dessus. Un visage sculpté dans une pierre à savon kanak. Une boîte à musique. Une pyramide en origami multicolore. Un bois sculpté six figurines élancées collées les unes aux autres. Celle qui te l’a offerte ne s’en souvient plus mais tu gardes l’objet. Un éléphant en tissus. On ne sait pas sa provenance. Et une boîte de cartes de bonne chance en flamand, cadeau tendre d’un voyage à Bruges. Tout ceci comme un peu empaillé, épinglé. L’ensemble appelle mais peine à faire ciel, vent, poussée. Chère moi…

Au début du film, au début du scénario, sur la machine à écrire et la voix off d’ Anne – interprétée par Virginie Testud – qui fait dire à Léna, de mémoire, pour son scénario moi j’ai adoré Diabolo Menthe. Boîte, miettes de papier, petites cartes de la taille d’un ongle. Et autour des chefs d’œuvres, des quilles, des montagnes. Je ne connais pas la gratitude mais une passion de ces enveloppes, ces fils, tantôt laine tantôt ficelles. Personne ne m’a vu commencer. C’est allé grandissant une érosion autour des creux. Anne entend Léna, longtemps agacée, donnant cher aujourd’hui pour l’entendre, pour faire grincer à nouveau la colère qu’elle sentait. Pendant qu’elle les raconte, eux, comme des étrangers qu’elle aurait croisé dans la rue – dira-t-elle. Sans plus. Pas moins.

A propos de Nolwenn Euzen

J'écris dans les ateliers du Tiers Livre depuis 2022. Cycles: "techniques et élargissements" , "le grand carnet", "photofictions" ou 40 jours d'écriture au quotidien" (juin-juillet 2022). Mon blog le carnet des ateliers concerne quelques séjours d'écriture et ateliers que je propose, associés notamment à la marche à pied. J'ai publié deux livres papiers et un au format numérique quand j'étais plus jeune. Je me fâche régulièrement avec l'écriture et me réconcilie. Je suis d'abord une infatigable lectrice. "Babel tango", Editions Tarmac "Cours ton calibre", Editions Qazaq "Présente", Editions L'idée bleue Ces revues m'ont accueillie dans le passé: La moitié du Fourbi, Sarrasine, A la dérive, Contre-allée, Neige d'août, Dans la lune... Et, grâce à l'anthologie "La poésie française pour les nuls" (éditions First) je sais que dans un des livres de la bibliothèque de la ville où j'habite, c'est moi. Et ça compte d'être tatouée comme ça. J'ai participé plusieurs années aux échanges de blog à blog des "vases communicants" - mon site a disparu depuis. En 2007, j'ai bénéficié d'une bourse de découverte du CNL. Le texte a été abouti. J'ai bifurqué vers d'autres urgences. Enfin voilà quand même, je suis contente d'être arrivé là bien qu'aujourd'hui le temps a passé et que j'ai toujours un casque de chantier sur la tête. J'aime ça.

8 commentaires à propos de “#été2023 #01 | 41° 45′ 33″ nord, 70° 00′ 01″ ouest”

  1. Merci Nolwenn Euzen. Magie de ces boites, malles, coffres qui renferment des objets capables d’avoir lattitude et longitude. Comme si au fond nos vies ne consistaient qu’à mettre en boîte les objets de nos vies.

    • Merci d’être passé lire Hugo. Je n’ai pas de pièce bureau, je suis allée chercher du côté des petits objets qui m’entourent… Garder vie et mouvement malgré les boites, c’est du sport. On essaie ! Les objets de nos vies, cela peut s’entendre tellement différemment c’est vrai, entre ce qui fait leur objet, et les objets matériels… Bonne suite !

  2. C’est très beau. ça donne envie de continuer à lire encore et encore. Merci aussi pour la poussière de mots et pour la compétition de l’objet le plus petit.
    Il y a déjà un univers, plein de mystères qu’on aurait envie de connaître.

    • Oh merci Françoise, je suis très touchée par ton retour enthousiaste. Je suis passée lire aussi et ton personnage m’intrigue tout autant ! Alors bonne suite !

  3. La machine à écrire , le phare, le vert du bleu … j’entends le bruit de la tronçonneuse … un sensible voyage en mots, en images, en livres. Merci Nolwenn.

    • Merci d’être passée lire, Elodie. Qui sait où ce nouveau voyage va mener… Tant que le souffle est là, on essaie d’avancer. A bientôt !