#été2023 #01 | Inventer l’auteure

La nuit elle longe les récifs qui bordent une cité engloutie : la littérature est un monde passé qui continue de vivre sous les flots du temps. Elle erre de maisons en parkings, elle cherche une voiture, un enfant, quelque chose, un sens, une rencontre : l’écriture est une quête. Au matin, elle espère se souvenir, quand elle accostera au quai de la vraie vie, de ces balades oniriques. Alors elle s’assiéra en cuisine ou au jardin, contemplera le jour qui joue avec les nuits à la rendre plus vieille et sape son énergie, rangera d’une main lasse les reliefs d’un déjeuner hâtif, secouera une nappe étendra une lessive, énumérera les heures où elle n’a pas écrit…

Un jour elle arrangera dans une pièce à elle un mur de livres en cagettes de clémentines d’Espagne, un vieux bureau de comptable deviendra son écritoire, les pots décorés de tant de fêtes des mères ou de chines en ressourcerie se garniront de stylos et de plumes ramassées en chemin. Les dictionnaires s’accoteront aux Lagarde et Michard et autres anthologies, de deux ou trois Pléiades et quelques Quarto elle fera des colonnes où appuyer solide les romans et nouvelles qu’elle veut toujours garder, relire peut-être aussi.

Une fois rangés triés les carnets d’écriture des vingt dernières années elle branchera son laptop – n’oubliera pas les clefs disques et unités où sauvegarder les heures les mois et les décennies qui ne manqueront pas un jour de faire œuvre. Alors elle pourra vivre autrement qu’en rêve sa réalité espérée…

Comme lui elle s’est levée avant l’aurore. Comme elle il a étiré dos et bras, délié ses poignets, désengourdi ses jambes assagies par la nuit. Comme lui elle a poussé les volets sur le jour naissant, humé l’air du jardin et aperçu la mer entre les tamaris. Comme elle il a préparé un en-cas, s’est versé une tasse d’eau chaude mêlée de plantes ou de café moulu serré. Comme lui elle a enfilé quelques frusques, un foulard pour le vent, une veste à retirer quand le soleil poindra. Comme elle il a marché, roulé peut-être aussi, au détour des ruelles, en regardant le ciel. Comme lui elle s’est assise, ou simplement penchée, face au port sur la plage, pour comprendre la marée, le point où est rendu le flot, savoir si l’heure est bonne. Comme elle il s’est souvenu des parlers des anciens, des phrases apprises par cœur, où sont cachés les mots qui disent le sens des choses. Et puis chacun·e s’est élancé·e. Tirant sa barque sur le quai, sortant ses stylos son carnet, godillant vers la bouée, griffonnant quelques lignes, iel sont parti·e voguer sur leur esquif, de papier ou de bois, entre pages et risées, construire une nouvelle journée, de pêche ou d’écriture.  

A propos de Gwenn Abgrall-Servettaz

Après quelques décennies de balades, lectures, gamberges, création de famille ou d'entreprise ... se dire qu'on peut réaliser ce fameux rêve d'écriture, nourri en secret mais trop vaste pour rester tapi en soi, puis oser le rendre publique. Voici quelques tentatives de tracer lignes et croisements entre vies quotidienne, familiale, amicale et imaginaire... work in progress, donc.

10 commentaires à propos de “#été2023 #01 | Inventer l’auteure”

  1. Bien aimé les Comme elle il et comme il elle. En revanche, mon poil n’a fait qu’un tour en lisant « iel sont parti·e voguer sur leur esquif » ! 🙂

  2. Merci Gwenn pour ce texte à deux vitesses. Avec la répétition « comme il, comme elle », je suis bien entrée dans ce jeu de mioir. L’écriture inclusive donc, nécessaire !

  3. Bel élan… On embarque, tu verras bien comment cette inclusive écriture te conduit, mais surtout ce désir et plaisir de se voir écrivant 🌸

  4. merveilleuse elle, merveilleux il ou tout au moins attachants il et elle que leurs efforts leur donne lassitude bonne de l’oeuvre accomplie pour ce jour et pour les suivants