été2023 #01bis | « on »a jamais autant aimé « nos » mort.e.s

Il faut en effet rappeler que pour Freud, ces deux rouages du rêve – la condensation décrivant la représentation composite qui rassemble plusieurs éléments en un seul, tel un abrégé, et le déplacement s’appliquant à un passage de l’affect d’un objet à un autre – agissent souvent de concert, et sont associés au processus de  » dramatisation  » qui, comme son nom l’indique, intéresse de près la théâtralisation de l’apex narratif que constitue ici le retour du…[ personnage refoulé… c’est moi qui rajoute…]

Marc Amfreville DANS LA REVUE CAIRN | a propos de La Scène originaire ou la représentation impossible dans « The Fall of the House of Usher » d’edgard poe.

Mathilde a écrit avant même sa naissance. Elle en est persuadée. Il est donc impossible qu’elle puisse se représenter la scène qu’on appellera même pas primitive, en référence à l’ image fantôme d’un engendrement extérieur à sa perception sensorielle. Elle ne pourra qu’inventer la scène originaire de son goût pour l’écriture. C’est l’unique point d’appui de son illusion d’autoengendrement dont elle s’est séparée bien évidemment, très tôt aussi. C’est une question de croyance et d’effacement précoce de la croyance.

Mathilde n’est pas un lapin de six semaines,mais c’est tout comme, surtout lorsqu’elle s’avise à vouloir « montrer » quelque chose d’une récapitulation des images, pour mieux voir les sujets et les objets utiles à son propos. L’écriture est donnée au-delà du don de vie, elle devient son prolongement. Mais c’est la mort qui lui dicte les premiers mots. Reste à trouver les outils de transcription sur la page.

Au tout début, dans les premiers dessins, les premiers graphismes à la plume d’encrier, elle se souvient de son calvaire de gauchère non contrariée… Il fallait passer la main par dessus le bras droit pour atteindre l’encrier, et ramener la charge liquide et salissanrte sans en laisser dégouliner partout. La plume est capricieuse, elle exige beaucoup de doigté. Crispée sur son bout de buvard vite détrempé, chaque lettre ne pouvait être que méritée. Est-ce cet effort surhumain et la honte de la catastrophe qui lui a donné la persévérance ? Elle n’aimait pas le crayon d’ardoise et ses grincements de caillou fragile. Elle préférait les traits fins, les déliés et les boucles d’encre bleue à condition qu’ils ne crachotent pas sur le cahier. Elle aimait le privilège, trop rare, d’aller écrire à la craie de couleur le poème du jour sur le tableau.Ce n’était pas de la tarte non plus, ce passage à la verticalité et c’était beaucoup plus fatigant ( mais comme c’était rare…). C’est la bienveillance de l’institutrice qui a tout mis en place pour que le désir d’écrire puisse éclore comme une glycine avant les grandes vacances. Juste avant, entre trois et cinq ans, le virus avait été déjà inoculé, en regardant les cahiers des frères, ensuite les outils ont vite été en poche, et la trousse est devenue un espace à soi dont le contenu , était renouvelé chaque année malgré les budgets familiaux riquiquis – Les séances d’achat étaient collectives et tumultueuses mais au bout, il y avait le pactole pour retourner à l’école. Mathilde gommait beaucoup et taillait ses crayons de couleur jusqu’au trognon, elle cassait trop vite les mines – Elle fulminait contre la perte de temps – Elle aimait l’odeur du cartable et des livres à couvrir, l’odeur du neuf autant que celle de l’ancien – la cire des bureaux doubles et la poussière caillouteuse de la cour de récréation sous le gros marronnier un peu pépère. Un arbre à la St Louis juge de ses sujets où l’institutrice proclamait ses notes à la fin de l’année. La déception ou la joie pouvait se mélanger avec l’arrivée des cigales.

En dehors du ventre maternel s’est ouverte une possibilité d’expression reliée aux autres que l’apprentissage a soutenue à son insu. La lecture a permis d’engranger les mots et les histoires, dont la plupart étaient inquiétantes. Grandir au milieu des adultes c’est se confronter à leurs secrets dont une grande partie a des affinités redoutables avec la mort. Mathilde a pris l’habitude de côtoyer les morts de toute provenance dans la voix maternelle. Mais elle a eu aussi l’intuition qu’il fallait les trier. L’écriture lui a donné immédiatement l’astuce de ne pas tous les mélanger. Un jour , peut-être fondateur, dans le cabinet d’une psychanalyste, elle a eu la révélation que l’écriture pouvait tout ranger par ordre d’importance. Ce n’est que beaucoup plus tard qu’elle a pu déclarer en riant ( à qui au juste ?) : – « On » n’a jamais autant aimé « nos » mort.e.s « 

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A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

8 commentaires à propos de “été2023 #01bis | « on »a jamais autant aimé « nos » mort.e.s”

  1. J’aime beaucoup cette petite Mathilde qui se bat avec sa « gaucherie » et ce porte-plume plein d’encre, je retrouve l’émoi sensuel de mes premiers outils scolaires… Invitations à écrire d’abord de belles lettres, puis de beaux textes…

    • C’est exactement cela qu’elle a vécu et cet abécédaire conquis de haute lutte, elle ne l’a plus jamais lâché ! La lecture a précédé l’écriture et l’enchantement des livres mis à disposition a fait le reste. Mathilde est une rescapée heureuse du sentiment d’incompétence gestuelle. Le jeu en valait les chandelles de morve et les yeux mouillés au-dessus du cahier. Les livres ont été dévorés avant même les leçons du jour. Une boulimie de vocabulaire.

  2. Dans votre A propos je note : Ecrire c’est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c’est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de « taire »…
    Oui.

    • Je pourrais rajouter et pour d’autres que moi, aujourd’hui , qu’écrire c’est aussi libérer des émotions et des souvenirs confisqués, c’est permettre à l’esprit de raccorder ses pensées du jour et ses pensées de la nuit, de les rendre compatibles, même provisoirement. François BON ajoute aujourd’hui qu’il s’agirait de rejoindre « le bourgeonnement  » de la mémoire au-delà de soi… Dans tous les cas, c’est du boulot mental.

  3. Test pour modification – 1

    Ceci était un test, j.interviens dans le commentaire et le complète, et je n.oublie pas de mettre à jour, à droite dans le carré Mette à jour – tu peux tu le vois carrément supprimer le dit commentaire. Bonne suite.

  4. « elle a eu la révélation que l’écriture pouvait tout ranger par ordre d’importance » cela m’inspire beaucoup