#été2023 #02 | et dans tout cet abandon

Tout ce fatras. Il faut regarder où mettre les pieds avant de franchir le seuil. Je n’ose pas m’appuyer sur la porte en bois toute vermoulue gorgée d’eau des dernières pluies. A terre des détritus noircis d’humidité crasse et au travers dans ce vrac les tommettes toute rouges bien que blanchies parfois d’usure. Au mur des taches des pans de tapisserie des graffs des signatures et des dates des initiales des mots obscènes une affiche déchirée gondolée aux couleurs passées. Une chaise sans dossier barre l’entrée de la grande galerie. Une table en bois et dessus quantités de journaux de papiers. Je m’approche des fenêtres ouvertes aux quatre vents. A mesure que j’avance, ça craque crisse froisse se brise sous le pied. Un parfum de fleurs avec le vent. Je ne parviens pas à identifier quelle fleur. Un volet claque. Des bris de verre d’un carreau cassé sur le béton ciré de la margelle de la fenêtre. Le regard fait le tour. Un escalier de bois mène aux étages. Effondré en partie. Je le laisse non sans frustration. En face de l’une des deux grandes fenêtres une porte qui ouvre sur une autre pièce, plus petite. La cuisine. Un ancien lavoir. Une table ronde. Une chaise. Un évier blanc ébréché. Des placards ouverts aux portes dégondées. Quelques assiettes. Un bol. Trois verres. Posés là comme si on les avait mis à sécher après les avoir lavés. A mon approche trois ravets s’immobilisent antennes en alerte. Au sol un amoncellement de vaisselle cassée ternie de poussière. Le parfum de fleurs par vagues me suit. Ou plutôt je le suis. La cuisine ouvre à son tour sur une autre pièce. Plus de porte. Un rocking-chair dépareillé près d’une fausse cheminée. Des livres. Un tas de livres au centre de la pièce. Pas de détritus dans cette pièce curieusement. Des restes de bougies. Un recoin sous une fenêtre aux volets rescapés entrouverts. Les effluves sont plus intenses. Le souffle du vent dans les arbres tout autour. Le silence de la maison éventrée par le temps. Et dans tout cet abandon, une forme allongée sur un matelas improvisé posé sur des palettes. Une tignasse. Une main. Endormie, semble-t-il.

A propos de Émilie Marot

J'enseigne le français en lycée où j'essaie envers et contre tout de trouver du sens à mon métier. Heureusement, la littérature est là, indéfectible et plus que jamais nécessaire. Depuis trois ans, j'anime des ateliers d'écriture le mercredi après-midi avec une petite dizaine d'élèves volontaires de la seconde à la terminale. Une bulle d'oxygène !