#été2023 #02bis | la petite fille à la fleur

Les photos que tu scannes une à une et découvres en projection sur le mur grisé de la salle d’archives ont toutes été prises à l’intérieur même de la propriété. Aucune dans le village, devant l’église ou marchant dans les bois ou sur une colline. En toile de fond il n’y a que ça ; un château, son verger, ses dépendances. L’avancée de la terrasse donnant sur les collines avoisinantes. Le petit chemin sec qui s’éteint en bas dans la verdure. Tout a lieu là. Il n’existe rien d’autre. C’est un été en huis clos. On vit entre soi. Le monde extérieur a disparu. Les photos sont prises par la mère. Toutes légèrement sur exposées. Ce qui saute aux yeux c’est qu’on a affaire à des mises en scène. Aucune photo n’a été prise sur le vif. Et ce qui t’étonne tout de suite c’est la permanence d’une figure. Celle de la petite fille. Aucune photo de famille. Le père et le frère, les amis sont absents. Sur les photos la petite fille pose. Elle est nue ou à demi nue. L’air un peu sauvage. Les cheveux hirsutes. Sur l’une elle est assise de profil les jambes légèrement allongées sur le large rebord du balcon. Son visage se détourne. Sur d’autres elle est debout, appuyée contre un arbre, une main sur l’épaule opposée, l’autre bras pendant le long du corps, le sexe à nu. Et là encore sa tête est détournée, son regard nous échappe. Il y a dans sa présence quelque chose de vif, d’intense. Mais son visage est immanquablement tourné vers l’ailleurs, fuyant au loin, ou alors comme retourné en soi-même. On sent dans ces photos une intimité entre la fille et la mère. Comme si elles étaient cet été-là dans un monde à part, un monde n’appartenant qu’à elles. Il y a une seule photo où le visage est de face. Sur cette photo la petite fille tient une fleur. Elle n’offre pas cette fleur (à la photographe, à la personne qui regarde la photo), elle la porte simplement. Elles forment elle et la fleur une image, une figure presque symbolique. Comme on peut en voir dans les peintures anciennes ; primitifs flamands ou peintures de la renaissance italienne. Et tu ne peux t’empêcher de te demander, mais que représente cette petite fille à la fleur. Et tu te questionnes encore, mais qu’a voulu nous raconter la photographe en mettant en scène cette petite fille à la fleur. Qui est, pour la mère, cette petite fille à la fleur. Il y a quelque chose de poignant dans ces photos. Tu ne sais pas dire pourquoi. Une intensité douce et violente à la fois. Une proximité physique et pourtant une grande distance. Peut-être une forme de mélancolie ou de tristesse profonde. Le constat d’une époque qui s’achève, d’un monde qui se meurt.

A propos de Sybille Cornet

Je n’ai pas de page Facebook ni perso ni privée. Ni d’instagram. Et pas de site non plus autour de mon travail. Je sais que question communication c’est pas top. Je vis mieux dans l’ombre. Mais je travaille à tenter d’en sortir. Je suis autrice et metteuse en scène. Principalement de théâtre jeune public. Le théâtre jeune public est un milieu qui vit un peu en autarcie. On se connait tous et toutes. Et donc la nécessité n’est pas forcément là pour me pousser dans le dos. J’ai une pièce de théâtre publiée Le genévrier chez Lansman. J’ai un texte publié dont je suis contente, une ode aux pieds nus (La matière du monde) édité chez Post industrial animism. J’ai publié des textes poétiques dans un magazine que j’adore et qui s’appelle Soldes almanach, magazine assez branque sur les nouvelles utopies. Il y a une adaptation sonore d'un spectacle performance sur le Syndrôme de Stendhal que j'ai écrit et performé ici : https://www.dicenaire.com/radioautresauborddumonde . Pour le reste, j’ai écrit et mis en scène une bonne dizaine de spectacles, adultes et enfants. Ma compagnie s’appelle Welcome to Earth. J’ai aussi fait un peu de poésie sonore. Pour l’instant je monte un spectacle pour tous petits qui raconte une amitié entre deux arbres, un petit pin nain et un bouleau. Ça s’appellera sans doute Inséparables. J’accompagne une actrice slameuse qui monte un seule en scène autour de sa grand-mère et de l’avortement. Le titre : Bête d’orage. Je fais partie d’une commission qui octroie des aides à la création aux créateurices jeune public et je lis beaucoup de dossiers d’artistes. Aussi étonnant que ça puisse paraître, ça me passionne complètement. Lire des dossiers d’intention de spectacles m’intéresse parfois plus que de voir le spectacle lui-même. J’étudie aussi la dramaturgie (mais ne me demandez par contre pas ce que c’est ok ?). Ah oui, je suis belge et je vis à Bruxelles, ville que j’aime entre toutes.