#été2023 #08 | le trait qui nous regarde

Œuvre monumentale — vingt-et-un mètres carrés de couleurs et de musique — dernière toile avant le vide — à moins de deux mètres d’elle, on peut s’imaginer chef de l’orchestre — se voir-entendre diriger, déchiffrer les clartés d’une partition où les traits seuls font signes — voir ailleurs aussi — parce que dans la tête, les mots d’un autre peintre résonnent, omniprésents — « Moi je suivais ces fils continus qui ont leur propre vie qui est aussi forte, plus forte que là haut dans le tableau où ils font une figure, un sourire ou quelque chose qui ne nous regarde pas. » Il avait ajouté : « Alors j’ai compris -et je ne suis pas le seul- que le trait en soi peut être suffisant. » — tout en bas, à la droite de la toile, l’ocre de l’instrument s’écoule, dégouline comme le jus d’un fruit mâture — forme mûre, comme suspendue, apaisante — fluidité, dilution — traits, indicibles traits, qui regardent qui sait les voir, « fils continus qui ont leur propre vie ».

Le Concert (Le Grand Concert : L’Orchestre) – Nicolas de Staël – mars 1955- DR Musée Picasso – Antibes

Ce qu’il reste à écrire, c’est ce qu’ils disent de nous ces traits qui nous regardent. Impossible écriture tant sommes-nous indicibles à nous même, inexprimables quelles que soient nos mises en scène de nous.

A propos de Ugo Pandolfi

Journalist and writer based in the island of Corsica (France) 42°45' N 9°27' E. Voir son blog : scriptor.

11 commentaires à propos de “#été2023 #08 | le trait qui nous regarde”

  1. Très beau texte. Très dense. Je suis allé voir ce qu’avait peint ce Hans Hartung, j’aime beaucoup.

  2. L’extension du domaine de la figuration est vouée à la redite ou au plagiat d’images révolues. La peinture nous dit cela à longueur de temps mais nous ne voulons pas le croire. Toi, si, apparemment… Les tableaux de DE STAËL rejoignent ceux de BRAM VAN VELDE, « c’est l’homme devant son désastre », va écrire après çà ! Il y a pourtant beaucoup à dire sur ce sujet.

    • Merci Marie-Thérèse. Bram Van Velde, oui, impossible de ne pas y penser. Je l’avais bien en tête aussi. Mais c’est avec Hartung que j’ai eu la chance de pouvoir m’entretenir il y a 38 ans. Le repli sur ce qu’il me reste de mémoire était plus facile.

  3. oh mais que c’est beau : « l’ocre de l’instrument s’écoule, dégouline comme le jus d’un fruit mâture — forme mûre, comme suspendue, apaisante — fluidité, dilution — traits, indicibles traits, qui regardent qui sait les voir, « fils continus qui ont leur propre vie ». » (ça donne envie de broyer des pigments )

  4. splendeur une fois encore de sa toile (pas deviné honte à moi quel est l’autre peintre, quoique bien sûr j’ai une idée sans certitude)
    et admiration satisfaite comme l’espérais pour votre traduction (en plus y ai puisé ce que venais chercher rituellement comme chaque fois, pardon imploré pour cette instrumentalisation) le moyen d’effacer le souvenir ravi et décourageant de ma relecture (avec le plaisir du flou de ma compréhension mêlée de gourmandise) cette nuit des 3/4 de la Leçon de Chose, un rien paralysante et autoritaire d’autant que comme vous le détail qui s’imposait à moi était une ‘oeuvre » ou sorte d' »oeuvre » plastique. Précieux vous êtres Monsieur 🙂

    • Oh merci précieuse Brigitte.Très heureux d’être en résonance avec vous sans Doliprane cette fois. Et vivent les instrumentalisations : nous faisons orchestre. C’est un grand bonheur. Merci Brigitte, grand merci.