#gestes&usages #07 l Je me devais.

Je me devais d’être bien éduquée, je me devais de ne pas mettre mes coudes sur la table, je me devais de parler correctement, je me devais de me tenir droite, je me devais d’attendre que la maîtresse de maison ait commencé pour manger, je me devais de rentrer à l’heure, je me devais de correspondre à ce que l’on attendait de moi : école, travail, société, je me devais de ne pas parler trop fort, de ne pas crier en public, de ne pas pleurer, je me devais de ne pas avoir d’états d’âme, je me devais d’être sage, je me devais de mettre ma main devant la bouche quand je baille, je me devais de ne pas montrer du doigt, je me devais de dire  » parfois ou quelquefois » et surtout pas  » des fois », je me devais d’être habillée correctement, de marcher convenablement, de vivre raisonnablement, je me devais de ne pas épouser n’importe qui, de ne pas devenir n’importe quoi, de ne pas vivre n’importe où, je me devais de fréquenter les bonnes personnes, de dire les jolis mots, de me tenir sage encore, je me devais de me débrouiller, de ne pas me plaindre, de trouver un bon mari, d’être jolie et de le rendre heureux, je me devais de savoir recevoir et ne pas lui faire honte, je me devais d’être comme ci et pas comme ça, d’être souriante, je me devais d’être ce que l’on attend de moi sans me demander qui je suis vraiment, je me devais de me soumettre, je me devais de ne pas parler la bouche pleine, de ne pas mâcher de chewing-gum, de ne pas trop manger, de ne pas être grosse, je me devais d’être sage encore.

J’ai tout bien écouté, j’ai tout bien fait, j’ai étouffé, j’ai explosé.

Et un jour, je me suis demandé :

 » Et à moi, qu’est ce que je me dois ?  »

A propos de Clarence Massiani

J'entre au théâtre dès l'adolescence afin de me donner la parole et dire celle des autres. Je m'aventure au cinéma et à la télévision puis explore l'art de la narration et du collectage de la parole- Depuis 25 ans, je donne corps et voix à tous ces mots à travers des performances, spectacles et écritures littéraires. Publie dans la revue Nectart N°11 en juin 2020 : "l'art de collecter la parole et de rendre visible les invisibles" voir : Cairn, Nectart et son site clarencemassiani.com.

11 commentaires à propos de “#gestes&usages #07 l Je me devais.”

  1. je me devais, je ne savais pas ou ne vouais pas, je faisais le contraire, je suis partie, ai fait ce que je me devais et ce que je ne me devais pas. Et quand retrouve ce qui ont pris la suite je dois re-apprendre ce que e me dois avec eu.

    Epatante et savoureuse collection de ce qui m’a été enseigné ou que l »on a tenté de… merci d’être même ou du moins vous-même

  2. ( Et quand les gosses arrivent on se demande comment on fait avec tout ça plus ou moins ça ou pas du tout ça ou presque ça qui s’est infiltré qui nous constitue aussi qui est à jeter et pas tout mais quoi) … oui belle la chute comme un pas de danse!

  3. Cette litanie de « je me devais », (qui ferait un bon incipit pour atelier), fort écho aux injonctions de mon livre « Elle parle des corps », très belle chute salvatrice, Clarence. Ce que le corps en garde malgré tout. Merci pour cette énumération et ce beau texte où je me retrouve si fort.

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