#gestes&usages #08 | Première fois.

Elle ne se souvient plus exactement comme c’était arrivé cette idée de rendez-vous. Est-ce lui qui le lui avait proposé ou elle qui s’était lancée à l’inviter ou était-ce simplement la classe de 5ème à laquelle elle appartenait à l’époque, qui, poussée par les copains et les copines, avaient planifié ce moment entre eux ? Elle ne se souvient plus très bien de cela mais en revanche, elle se souvient bien d’avoir entendu son cœur battre tandis qu’ils marchaient tous les deux en direction de chez elle.

C’était la première fois.
Elle avait maintes fois étudié toutes les possibilités :

Soit il se pencherait vers elle et l’embrasserait.

Soit ils s’assoiraient tous deux et il l’embrasserait.

Soit elle s’allongerait et il viendrait sur elle.

Autant de questions qu’elle n’arrivait pas à chasser de son esprit depuis qu’elle savait que c’était ce jour-là, à cette heure précise, qu’ils devaient quitter le collège ensemble pour aller s’embrasser. Tandis qu’ils marchaient côte à côte, ils parlaient de tout et de rien, surtout de rien et le temps semblait suspendu dans l’attente de ce qui devrait se faire. Ils s’étaient retrouvés dans la forêt sur un chemin de sable et de rochers qui longeait le cimetière surplombé par un haut mur, par-dessus lequel, on pouvait apercevoir quelques tombes. Elle savait qu’elle n’habitait pas loin de là et que s’ils ne s’embrassaient pas sur ce chemin, c’était fichu, l’occasion ne se présenterait peut-être plus, alors, mue par une impulsion soudaine, elle s’était assise, à même le sol, il l’avait rejointe. Au-dessus d’eux, les premières lueurs du soir se dessinaient dans le ciel et les arbres perdaient de leurs ombres. C’est lui qui l’avait embrassé ou peut-être elle… C’était doux, chaud, humide et terriblement excitant ! Leurs bouches et leurs langues s’étaient touchées tout d’abord de façon maladroite, puis une fougue les avait envahit et sans même y penser, elle s’était allongée pour sentir le poids de son corps à lui sur elle. Le froid du sol sablonneux dans son cou et à travers ses vêtements, les cailloux qui la piquaient s’étaient intrinsèquement mêlés à la chaleur de l’excitation qui s’emparait d’elle, la rendant de plus en plus intrépide et curieuse. Un mot parfois interrompait leurs embrassades mais à peine… La nuit était déjà presque tombée et elle savait dans sa tête qu’il lui fallait rentrer chez elle, que ses parents l’attendaient mais le moment était si bon, si tendre, qu’elle se sentait tiraillée entre le devoir et la désobéissance, entre interrompre et se laissait emporter par la volupté. C’est lui qui s’était levé en lui disant qu’il fallait y aller. Ils marchaient désormais, main dans la main, le rouge aux joues et les sens aiguisés. Ils ne s’étaient qu’embrassés mais elle savait déjà qu’elle était faite pour ça et elle comptait bien vite recommencer.

Il lui avait donné un dernier baiser devant son portail avant de filer dans la nuit noire.

Heureuse et émoustillée, elle avait ouvert le portail quand la violence du coup porté à ses cuisses lui avait coupé le souffle.

«Où étais-tu ? Avec qui ? Tu as vu l’heure ? Il fait nuit !»

Son père, c’était son père, qui caché derrière un buisson, l’attendait, cravache à la main et avant même qu’elle n’ait pu répondre quoi que ce soit, l’avait roué de coups.
Elle pleurait, criait, essayait de s’échapper mais les coups pleuvaient sans s’arrêter et la violence mêlée à la douceur des baisers, lui avait été insoutenable.

Enfin, après un long moment, elle s’était enfuie pour se réfugier dans la salle de bains qui était la seule pièce de la maison qui fermait à clef. Elle avait longuement attendu sur le carrelage froid que la fureur de son père se calme avant de monter se coucher.

A propos de Clarence Massiani

J'entre au théâtre dès l'adolescence afin de me donner la parole et dire celle des autres. Je m'aventure au cinéma et à la télévision puis explore l'art de la narration et du collectage de la parole- Depuis 25 ans, je donne corps et voix à tous ces mots à travers des performances, spectacles et écritures littéraires. Publie dans la revue Nectart N°11 en juin 2020 : "l'art de collecter la parole et de rendre visible les invisibles" voir : Cairn, Nectart et son site clarencemassiani.com.

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