#gestes&usages #08 | bain de soleil

Avec quels mots tu veux que je dise, tu dois avoir une idée? Que je dise qu’il tirait sur sa bite et qu’il a déchargé sur moi? qu’il se masturbait, tu préfères ? qu’il a éjaculé ? c’est comme ça que je dois…? sur moi oui, dans la figure… J’étais allongée la-haut, à l’écart, dans la dune, les yeux fermés : plein soleil, plein feu… je n’avais pas mes lunettes (mes lunettes, je les ai retrouvées au pied du buffet dans l’entrée, ce meuble on l’avait acheté avec la maison, on l’avait décapé, une semaine ça avait pris : sous la couche de gris, le bois chaud; ces quelques taches qui restent; de la peinture tellement incrustée… on ne peut pas tout enlever, le bois on l’aurait entamé, son âme … Qu’est ce que tu veux que je dise : qu’il m’en a foutu plein le gueule ? – les lunettes, les clés c’est là qu’on les laisse et parfois on les oublie; on oublie des choses, des noms, des objets, des lieux, des corps… Il approche – dans le sable on n’entend pas approcher, les pas je veux dire; il doit déjà… enfin je l’imagine; j’ai les yeux fermés : tu n’as pas entendu ce que j’ai dit? Fermés! Il s’arrête au dessus de moi… Je sens le froid, comme un nuage cache le soleil, la température, d’un coup elle baisse, comme si le nuage, son ombre ; c’est souvent ici : ciel changeant – je n’ouvre pas les yeux – un nuage et la température bascule, elle baisse d’un coup – c’est fou comme un nuage, un seul peut… Je me souviens de ce matin, ciel bouché, et l’averse; (elle faisait sa première dent: nuit blanche); l’effraction soudain, là-haut, l’écartèlement, la chaleur, la lumière aveuglante ; je l’avais prise contre moi et j’avais remonté la rue vers l’église parce que soudain il faisait beau, comme l’été, la rue… Et sa queue se répand; le ciel qui s’assombrit d’un coup? non, son ombre juste au dessus de moi, pas un nuage, non : son corps au-dessus de moi, lui en contre jour et entre mes cils : sa queue. Elle gicle, ça se répand. L’homme est là,( masturbe tu préfères? ) il jouit au-dessus de moi. Parfois l’homme jouit; parfois l’homme éjacule; parfois dans un visage, parfois l’homme cependant, pleine face : le mien. Parfois l’homme regarde le nuage passer, parfois il prend l’ondée l’homme; une ondée : ça va passer on dit, c’est passager on dit regardant le ciel : passera ? Parfois l’homme cependant elle, passe : passera? passera pas ? L’homme? j’ai le visage plein de son sperme; je suis allongée dans mon maillot vert, les yeux fermés à cause du soleil, je l’ai déjà dit? je me répète? Je n’ai pas mes lunettes; vert le maillot, uni, celui là reste dans la maison d’été, même enceinte je l’ai porté, dix ans; j’ai froid; c’est soudain. Lui. Lui au-dessus. Le temps d’entrouvrir les yeux ; la queue longue presque molle, qu’il tient et branle, les poils, jaunes je dirai, paille; en contre plongée lui : trous noirs. Le temps de l’apercevoir : Hurler -mais attraper sa cheville – c’est flou, visqueux . Comment tu veux que je dise? La pierre : frapper : La tête : Le sang. Le trou. Dans la tête. Non. Je n’avais pas mes lunettes, je l’ai dit? soleil et vue. Ni pierre. Rien. J’ai enfoui mon visage et je l’ai frotté dans le sable comme une chienne, tu l’as vue quand elle creuse, la truffe enfoncée dans la terre ; à s’arracher la peau. Mais la pierre ? Ni pierre, ni ciseaux, ni papier. Pas de feuille pour crier. Ni de puits pour jeter le corps… ( c’était notre jeu avec l’enfant) Parti. Parfois l’homme s’enfuit, parfois il meurt. Mais là pas le temps de… juste dévaler la dune et plonger

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

12 commentaires à propos de “#gestes&usages #08 | bain de soleil”

  1. mais alors, c’est avec ce « tu » que tu convoques « mais avec quels mots tu veux » et que tu obliges (parce qu’un texte regarde avec des mots) et comme si c’était le désir même du lecteur de lire ce qui suit, ce « tu » qui est un tiers (un témoin — un voyeur ?) convoqué dans la scène (et cela n’est-il pas, finalement, un protocole pornographique ?) — et penser par ailleurs (diversion, numbing) à tout ce qui traîne et s’oublie sur un buffet (d’une maison de vacances ?) : ces soucoupes chargées de ce qui se perd et que personne ne réclame — et par ailleurs encore (et je la retiens celle-là) l’ombre corporelle-nuageuse « comme un nuage, un seul peut » : comme une météo du désir

  2. à un moment dans « Il était une fois dans l’ouest » (1968(!), Sergio Leone) il y a cette réplique de (Claudia Cardinal alias) Jill dont je me souviens « un bon bain (chaud) et après (elle parle d’un viol pour son « après ») il n’y a plus rien » – quelque chose de ce genre – des choses qu’il vaut mieux oublier ? – tu sais je me souviens quand, jeune homme vers quinze ou seize comme ça, la blague était de dire (aux filles ou entre soi) « quand le viol est inévitable détends-toi et profite  » – le profit avait déjà quelque chose de dégueulasse – ça l’a toujours été et n’a fait qu’empirer – la vraie vie est ailleurs, tu te souviens ? – Nathalie tu as du courage, je salue – ainsi que les commentaires précédents de Christophe sinon que le « regard pornographique »(male gaze hein) est, j’ai vaguement le sentiment, ailleurs (peut-être : parce que n’en pas parler, de ce type et de ses agissements, n’est-ce pas, aussi, les légitimer ?… )

  3. quelle énonciation pour ça. Si l’adresse et son tutoiement donne l’idée d’une complicité? D’une intimité? D’un dispositif érotique? Quel mot pour dire l’agression. La chose en tant que viol – Sortir du silence, nommer, énoncer est-ce entrer dans un jeu ? retourner l’arme?

  4. Merci Nathalie Holt pour ce texte aux mots crus et sans aucune ambiguïté. Il ose aborder une agression sexuelle, l’éjaculation faciale non consentie, qui est une profonde convention récurrente de la pornographie. Comme vous le dites parfaitement dans votre commentaire et comme tout votre texte l’affirme avec force, «sortir du silence, nommer, énoncer » ce n’est pas entrer dans le « jeu » où l’homme éclabousse de son pouvoir le visage d’une femme réduite à n’être qu’un objet sexuel. « Sortir du silence, nommer, énoncer », c’est justement, farouchement, rompre cette violence de pouvoir, l’interrompre, l’interdire. Et là se pose la question de savoir comment les hommes, tous les hommes, lisent ces énonciations ? Comment ils les reçoivent ? Les interprètent ? Ce qu’ils en font ? Nous ne sommes en effet pas tous égaux face à ces « sorties du silence ». Il y a ceux qui sont terrifiés, glacés, meurtris par ce qui est nommé; ceux qui ont du mal à poursuivre la lecture tellement elle est douloureuse, tellement elle dit vrai, tellement elle nous blesse. Et puis il y a ceux, avec plus ou moins de honte, excités par les mots qui regardent : ils n’hésiterons pas à suggérer que c’est la parole même des femmes qui nous rend voyeurs et pornographes. La plus grande violence du pouvoir mâle dominant ne date pas d’hier : la chute, la faute, c’est la femme. La question de comment les hommes reçoivent les sorties du silence mérite d’être posée. Votre texte comme ceux de nombreuses autres femmes dans cet atelier la pose. Merci Nathalie de vos mots qui appuient si fort là où ça fait mal. Merci à toutes celles qui sortent du silence,nomment et énoncent.

      • Mais Christophe ce n’est pas un tribunal ici… avec cette question des) violences et surtout dans le contexte des violences sexuelles, on touche une limite : les mêmes mots pour… Nos échanges sont précieux . J’entendais parler de Lolita de Nabokov et des polémiques et condamnations que le livre produit , aujourd’hui particulièrement . Est-on dans la tête du narrateur ; les choses sont elles vues de son seul point de vue (l’abjection de son regard) ? Est-ce le portrait d’une petite allumeuse qui ne subit et ne jouit que de ce qu’elle enclenche ? Le point de vue de Nabokov était disait il-clair ( position 1) .., on ne le reçoit pas forcément comme tel .( Question aussi de la fiction … )

  5. C’est puissant, brutal et surtout on ressent physiquement tout, l’approche, le jet, et surtout le froid.

    Pour le reste, les commentaires au sujet de l’adresse, du voyeurisme etc, tout dépend du lecteur (comme de l’agresseur), la parole de la femme qui dénonce peut être vécue avec culpabilisation ou indifférence mais encore avec une jubilation, une jouissance perverse et dominatrice qui se repaît de l’acte de domination et d’humiliation même.

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