#gestes&usages #04 – 3 | la jupe

Elle coud. Elle me parle. Le salon donne sur le jardin. Sur le rebord de la fenêtre les bulbes ont germé. Une pie s’aventure. En parlant elle battit. Un fil bleu de la couleur de ses yeux pour l’ourlet de cette jupe de soie ivoire, longue, jusqu’au sol, sans traine. Dix mètres en grande largeur, des plis généreux. Elle avance. Point par point. Tête penchée, sans regarder l’ouvrage. Ses mains, les bagues : pouce, majeur et index de la main gauche. La droite nue. Points métronomiques: un centimètre, un autre : plein vide plein. C’est joli ce pointillé bleu, comme un ornement : tu pourrais le laisser… Dans le cou près de l’oreille son tatouage minuscule -des initiales- , et la boucle d’oreille allonge le lobe. Elle coud. Elle me parle : Les robes de mariées c’est pas mon truc, je l’ai fait pour dépanner, vraiment je ne pouvais pas dire non. C’est en dehors de ses heures de travail. Dans les théâtres elle coupe et elle pique, elle teint, elle arrange, elle modifie: une capote militaire bleu horizon avec quelques galons et des boutons dorés en manteau de roi? Elle coupe. Elle coud, toutes époques confondues. Crinoline, Pourpoint. Jogging. Corsets. Faux Balenciaga… tutu, combinaison de … et prototypes en tous genre, en couverture de survie, en papier recyclé. Même le rideau de scène, une fois, une déchirure verticale reprisée à la volée, la nuit juchée sur la nacelle : montée jusqu’à cinq mètres je voyais la salle, les fauteuils grenats, je voyais leurs regards absents écarquillés. Elle coud. Elle me parle : Je te fais un thé. Elle se lève. Elle disparait : Tu sais c’est un mariage … elle pose la tasse de thé. La pie s’attaque au bulbe. Elle reprend l’aiguille. Elle coud. Elle me parle: je ne pouvais pas dire non. Une du lycée. D’avant. Plein vide plein. Une ligne pointillée bleue. 

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

9 commentaires à propos de “#gestes&usages #04 – 3 | la jupe”

  1. Très beau, très tendre. Merci Nathalie. Le salon de couture de ma grand-mère maternelle donnait aussi sur un jardin où il y avait des framboisiers et un figuier. A l’inverse, le lieu de la machine à coudre à pédale de ma grand-mère italienne n’était qu’un couloir sombre entre la cuisine et la chambre.

  2. Un beau rythme dans lequel on entre, on suit l’aiguillée et le point qui s’exécute
    et puis si je suis venue jusqu’à ton texte, c’est ton titre « la jupe », car tu sais combien je suis sensible à l’idée de tissu, de robe… des mots très présents dans tes textes… et puis je sais que j’aime toujours l’univers qui s’y déploie

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