#L3

Voix 1

Quand? Après coup, ce n’est pas difficile à savoir. Je sais exactement où j’étais à ce moment-là, au même endroit que maint’nant. À bien y chercher d’ailleurs, j’faisais sûrement ce que j’fais maintenant. De l’inutile en boîte, une palette de boîtes d’inutile. Mais je l’fais bien. Si j’avais pas été là où j’étais, si j’étais pas là où j’suis maint’nant, ça ne se serai pas passé. Il n’aurai pas pu. S’échapper. Il nous a échappé, y a aucune justification à chercher et ça va aboyer. Mais j’me fous de ça, c’est pas ça qui m’ fait tergiverser dans cet enfer. C’qui me pose question et c’est peu de l’dire comme ça, parce que ça m’prend le cerveau dans cette chaleur, ça m’empêche de penser à autre chose. Je bute, c’est insensé quand même mais j’peux pas faire autrement. S’échapper. Ça ne se fait pas comme ça. Il n’a pas pu le décider en si peu de temps. Il n’a pas pu le décider au moment où il a vu que c’était possible de le faire. Et le faire. C’est impossible. Il était déterminé avant le moment où il a pu le faire. Et c’est ça qui me colle. Faut calculer son coup. On peut pas vouloir le faire et le faire comme ça. Le vouloir et le faire. Pas ici. Pas comme il était. Comme les autres. Vu comment on les abime, ils peuvent pas penser. On les assèche, on les taillade, retaille, faut pas que ça cicatrise. L’enfer par les pieds. C’est pire que l’enfer à respirer. C’est par les pieds qu’on les tient. Les assoiffer, y a toujours des rats dans le gosier qui restent. Je les entends.

Voix 2

Je reste encore un peu, je vais quand même pas me résigner comme ça. Je lui ai promis. Putain d’insectes. C’est peut-être pas la bonne période pour venir ici, en même temps, je ne pouvais pas venir avant. C’était maintenant ou je ne sais pas… Même dans les cheveux ils viennent se fourrer là-dedans, c’est agaçant ça, je vais finir tout boutonneux et purulents et crevé, avec ça. Mais c’est quand même quelque chose d’être venu là, je ne pouvais pas avant parce que c’était jamais le moment. C’est jamais le moment si on y pense bien. Encore moins le bon. Ça y est ça mord, AH! Elle est gelée, c’est comme rentrer dans du ciment, ça bouge, j’ai quelque chose. Mais qu’est-ce qu’il fait là. Il va tomber, mais qu’est-ce qu’il fait. Tout gringalet, c’est une écharde… mais c’est un gosse. J’y vois rien. Il va tomber. Un funambule, incroyable, jamais il va pouvoir traverser. Un héron. Tout en avant. Gauche. Mais il s’y prend bien. Mais qu’est-ce qu’il fait là. Il n’a rien vu, les panneaux, c’est pas fait pour… Merde le fil. Un guignol, je suis vraiment un guignol. Mais il y a trop de courant. Merde qu’est-ce qu’il fait, c’est trop puissant par le bas, ça va l’emporter. S’il tombe. Il ne va pas tomber. Si je crie je vais le déconcentrer. Je ne vais pas crier, il est trop léger, l’eau va…J’aurais mieux fait de baisser les yeux. Des insectes constamment excités dans les oreilles, à se coller sur les paupières et à la racine des cheveux.

Voix 3

Elle me dit tu vas croupir ici à l’écouter, les bras inutiles? Je ne sais pas le dire, je ne sais pas comment lui dire à elle. Mais elle sait que ça vient du ventre et que le reste du corps suit, même immobile, tout est remué. À rester au-dessus du lit, je ne sais pas comment l’alléger mais je me tiens là tout de même. Je vais aller vers lui sans avoir besoin de le nourrir, je le tiens par un fil qui va se dérouler à l’infini, ce sera une force que je sens. Il faut les gestes maintenant, me sortir des échappées cotonneuses où je ne fais rien que le regarder à me demander encore si lui, c’est moi. Je ne suis plus moi, je suis lui aussi.

A propos de Marion Dulon

Entre mots et images et éducation spécialisée, tentative de passerelles. Toujours encore écrire et questionner le faire écrire.