La boîte patiente

La boîte patiente
La boîte patiente

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Bonjour objet. Je vais écrire sur toi. Oui je sais tu es au féminin. Il n’y a pas de féminin pour objet, alors je te nomme tout de suite tu es une boîte, un objet qu’on appelle boîte. Tu vis chez moi et je n’ai jamais écrit sur toi. Tu es la boîte patiente et aujourd’hui tu brilles de plaisir. Enfin tu essaies de briller. Il faut bien que je l’écrive, je dois la vérité. Tu es un peu rouillée. Si, si rouillée, de la rouille. Bien sûr cela te donne un certain charme, une certaine assurance, tu n’es pas une boîte patiente rouillée ordinaire. C’est vrai je t’ai un peu délaissée. Tu es sur le plateau inférieur de la table basse vintage en rotin du salon bleu. Tu es en dessous du pot de cyclamen qui lui est sur le plateau supérieur. Non, non je ne peux pas échanger vos places. Lui, il a besoin de lumière pour vivre. Toi, moins tu en as, mieux c’est. Tu es très bien là où tu es. Je crois bien d’ailleurs que quand je t’ai adoptée tu étais déjà rouillée. Non je n’ai pas oublié tu as vécu ta jeunesse chez ma grand-mère. Oui elle se servait de toi. Elle te comblait de ses gâteaux préférés, des tuiles aux amandes qu’elle achetait à Bordeaux. Sur le buffet de sa salle à manger où tu étais la reine tu les lui conservais bien craquantes. Tu remplissais ta mission avec grand sérieux et les jours de grand ménage tu ne détestais pas la légèreté du plumeau. Mais non tu n’es pas complètement attaquée par la rouille, tu te ressembles encore mais je ne sais pas si je vais pouvoir endiguer ce vieillissement. Il n’y a pas de produit miracle, il n’y a pas d’élixir de jeunesse.

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Boîte octogonale vintage en tôle décorée selon le procédé de la lithographie. La lithographie (du grec lithos, « pierre » et graphein, « écrire ») est une technique qui permet la création et la reproduction à de multiples exemplaires d’un tracé exécuté à l’encre ou au crayon sur une pierre calcaire.

Sur son couvercle et ses huit côtés sont représentées des scènes de la vie d’autrefois. Toutes les femmes portent une coiffe blanche appelée quichenotte, des robes longues bleues protégées par un tablier blanc. La quichenotte est une coiffe paysanne du pays d’Aunis et Saintonge servant à se protéger du soleil. Les hommes portent une casquette, genre casquette de marin. Hommes et femmes sont chaussés de sabots. Tous ces personnages paraissent jeunes.

Les bords du couvercle et chaque délimitation des rectangles octogonaux sur ses côtés sont verts foncés. Chaque dessin est sur fond beige. Les couleurs dominantes de cette boîte sont vert, bleu clair, bleu foncé, jaune pale et beige. D’après les décors et ses origines c’est une boîte saintongeaise.

La boîte montre des signes d’usure, des égratignures, une décoloration. Des traces noires impacts des heures qui passent sont à nettoyer. Elle est encore fonctionnelle.

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Je crois que tu n’imagines pas ce que c’est d’écrire cinq fois sur un objet, et même si cet objet c’est toi la boîte patiente, c’est quand même du boulot. Je vais te prendre en main et t’examiner sérieusement. Pas facile ton arrivée chez moi. Je t’ai dérobée à l’héritage familial. Tu étais vouée au grenier et là crois moi un plumeau n’aurait pas suffi à te dépoussiérer. Donc soit donc heureuse d’être ici. Moi je suis heureuse que tu sois là. On ne le dirait pas ! Ah bon tu trouves que je ne fais pas assez attention à toi, tu me demandes de remercier François Bon. Tu penses que sans lui tu serais encore dans l’indifférence de mon quotidien. Susceptible tu es une boîte patiente susceptible.

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Tu sais pourquoi je t’ai choisie ? Franchement j’aurais pu trouver un autre objet, c’est pas ce qui manque et tu le sais. Et bien figure-toi que pendant mes vacances je suis allée visiter un petit musée « 1001 choses du foyer vers 1900 » où une exposition impressionnante de boîtes, des cousines à toi, remplissaient toute une salle. Des rondes, des carrées, des grandes, des petites, des anglaises, des allemandes, des hollandaises, des belges, toutes en tôle comme toi, toutes décorées de scènes de la vie d’autrefois comme toi. J’ai vu ta cousine germaine octogonale comme toi. Et là je me suis dit « mais oui, moi aussi j’en ai une boîte ». Ton image à cet instant restait un peu floue. Je savais ta place, je savais ton usure, ta couleur dominante « bleu vert », ta vieillesse rouillée, je ne savais plus ton décor, je savais tes personnages mais sans précisions. Loin de toi j’aurais voulu te voir, te regarder tout de suite, t’examiner, te dire combien tu étais importante, combien tu faisais partie de ma vie, combien tout à coup tu me manquais. Il fallait que je te dise tout de suite que tu étais l’unique boîte patiente susceptible dans ma vie. Je me suis donc promise que j’allais te regarder, te considérer, te toucher, t’ouvrir, te parler dès mon retour.

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Cette boîte féminine, objet au masculin m’accompagne en silence. Si des pieds se sont aventurés sur l’étagère du bas de la petite la table de salon où elle se trouve, je la repositionne précautionneusement. Elle est susceptible. Elle n’aime pas être bougée même si quelquefois elle rêve sa jeunesse. Elle fait partie du paysage vivant de la maison, elle est de ces objets habitants importants. Des miettes de gâteaux sont encore à l’intérieur, témoin d’un temps où il me semble me rappeler y avoir mis moi aussi des biscuits. Maintenant elle est à la retraite, elle est patiente, elle est ma grand-mère et ses tuiles aux amandes. Elle est le témoin du passage des heures, elle est mes origines, mon enfance.

A propos de Marie Moscardini

«Après une formation à Aleph en 2014, j'anime des ateliers d'écriture dans une petite ville de Saône et Loire.» Voir son site Nouvelles à écrire.

3 commentaires à propos de “La boîte patiente”

  1. J’aime beaucoup votre boite patiente susceptible. Un texte drôle et touchant je trouve.

  2. Oui ! Ca l’aidera peut être à patienter pour les vingt prochaines années 😉