Le carnaval des soiffards

En entrant, on ne voit qu’un brouillard. C’est le monde de l’envers. Celui qui ne dort jamais. La silencieuse nuit bercée par les ronflements du vent, n’est qu’une boutade pour lui. La fatigue a été remplacée par la frénésie, la nuit par la décadence. On entend des conversations qui s’entrechoquent. Les voix n’ont pas la même saveur que le jour, elles ont été corrompues, souillées d’ivresse.

On voit un homme, ses lèvres bougent mais on ne l’entend pas. En face de lui des regards faussement sympathiques, vides. Mais cet homme s’y rattache et continu une tirade dont il n’aura aucun souvenir demain. La langue dans cette fumée n’a de valeur que pour celui qui cause, elle s’évapore dans la nuit. Elle n’est qu’une note dans la chanson que crée la horde des soulards.

Il y a les coins sombres, habités par les voyeurs affalés sur des canapés. Ils zieutent les femmes qui s’exhibent. Elles se déchainent comme des lionnes. Leurs danses endiablées semblent portées par une fureur. Un cri qu’elles ne peuvent lâcher qu’ici. Personne ne saurait les en dissuader, car le spectacle est là. C’est la folie, l’égarement, l’excès, l’extravagance. C’est le grand carnaval, l’exutoire.

Les bras s’entrechoquent, les verres dansent, l’alcool gicle sur les soiffards. Les visages comme des buvards, ont dégouliné. Les yeux sont imbibés de sang. Le smog est peuplé de pantins, d’êtres hybrides qui ne pensent plus, qui se laissent porter par la fièvre de la nuit.