Le « qui sait ? » des carnets.

Un carnet, c’est avant tout une promesse. Parfois, mes pages restent blanches, alors c’est une promesse fantasmée mais une promesse quand même : je n’ achète jamais un carnet dans la ferme intention de ne pas m’en servir. D’autres fois, elles se couvrent, mes pages, de notes de lectures : citations entre guillemets, numéros de page, nom de l’ouvrage et de l’auteur, pour pouvoir y revenir. Quand ? Je ne sais, souvent jamais, je m’en rends compte en exhumant, des années après, tel ou tel carnet. Des aphorismes, je fonctionne souvent par aphorisme. La pensée discursive me fait peur. Je ne sais pas raisonner longtemps, jamais appris et puis, c’est certainement plus confortable d’attendre le satori feignassement ou simplement le surgissement d’une image, d’une idée, exprimée en trois mots ou en cinq, comme celle ci, face à un paysage de plateau montagneux : « L’œil est un exil ». Voila, c’est tout et c’est noté dans le carnet. Peut être que ça remontera un jour, produira quelque chose à force d’infuser, qui sait ? J’aime ce « qui sait? » des carnets. Idées de contes ou de nouvelles : en quelques lignes, là encore pour revenir, ou pas, car le simple fait de noter fait jalon et permet d’avancer, même si on ne reviendra pas forcément faire l’inventaire du trajet. Mes cahiers sont souvent abandonnés, bien avant d’être entièrement noircis, ce qui leur donne un côté « petit poucet » lorsque je les retrouve, où, plus précisément, les ré ouvre car, matériellement, ils restent à proximité, dans un coin de la bibliothèque. Même pas écrit au tiers parfois, les voilà relégués dans les étagères au retour du voyage. Car je ne prends des notes qu’en voyage, sûrement parce que je voyage beaucoup. Mais surtout parce que quand je me propulse, j’ai besoin d’un fil d’Ariane, rester en connexion avec cette partie de moi même qui a besoin de lire et d’écrire pour tenir en équilibre. C’est aussi cette promesse là, un carnet : s’avoir comme compagnon de route, être témoin de soi même et lampe de poche pour éclairer sa propre obscurité. Le verbe comme lumière, ça ne date pas d’hier. Un monologue foutraque aussi, souvent, qui n’a de valeur, au pire, que comme archéologie de soi même. Mais c’est déjà beaucoup. C’est déjà suffisamment pour capter mon regard, dès qu’ils croisent mon chemin. L’envie d’en prendre un, toujours, dans le magasin. Toujours à cause de cette promesse. Une promesse bien difficile à cerner malgré les contours précis de moleskine, de carton ou de cuir, malgré les pages de papier blanc, lignées ou pointillées, le parfum, le volume. Un carnet, d’une manière ou d’une autre, c’est toujours la promesse d’un soi qui reste à écrire.

A propos de Laurent Peyronnet

Depuis une vingtaine d’années, je partage mon temps entre le nord de la Scandinavie et la région lyonnaise où je réside. Je passe environ cinq mois sur douze sur les routes de Laponie ou j’exerce le métier de guide touristique et le reste du temps, j’essaye d’écrire. J’ai publié trois romans jeunesse, quelques nouvelles et contes. Je fais aussi un peu de musique et de dessin. Je n’ai pas de site internet mais vous trouverez l’actualité de mes romans jeunesse sur la page Facebook : "Magnus saga" J'anime également de façon intermittente la chaine Youtube « Quelque chose à vous lire » ; vous y trouverez actuellement une soixantaine de lectures vidéos dont : Raymond Carver ; Bob Dylan ; Joyce Carol Oates ; Selma Lagerlöf... et plus modestement, quelques uns de mes textes.

7 commentaires à propos de “Le « qui sait ? » des carnets.”

  1. Carnets-promesses, oui, et cette évocation des choses qu’on a jamais apprises et qui nous paraissent impraticables… ces vides dans nos apprentissages qui constituent aussi notre expérience
    Je te retrouve complètement dans ta conclusion, la main ne résistant pas à prendre le carnet en main pour l’acheter avec le désir fort d’y poser des mots… demain… un autre jour.. qui sait ce qui en sortira ?