#photofictions #08 | Des mots tracent mon chemin

Malgré la pluie, j’ai déambulé dans le village à l’affût des mots des autres. J’ai parcouru les ruelles du bourg. Voici LA RUE CASSE-CUL, en pente abrupte, redoutable l’hiver, elle mérite bien son nom… J’ai relevé une injonction sur un portail : LAISSEZ LA PORTE FERMÉE POUR QUE LES CHATS NE SORTENT PAS ; oui, une porte doit être ouverte ou fermée ! Adoré la RUE JOLI COEUR, du nom d’un poète local qui écrivait en patois. Sur la porte du Local Jeunes, était épinglée une feuille précisant : NOUS SOMMES EN SORTIE « GRANDIR AVEC LA NATURE » TOUTE LA JOURNÉE ; SI BESOIN APPELER LE 06… Et moins charmant, plus loin, sur une poubelle, un avis de la mairie : SUITE AU MANQUE DE CIVISME DE CERTAINES PERSONNES NOUS SERONS TENUS DE VERBALISER. Et plus dur encore, j’ai pu lire sur une boite à lettres fatiguée l’annonce suivante : SEMENCES BREVETÉES / ALIMENTATION CONFISQUÉE. Chagrinée, j’ai dévalé une rue qui tournevire et forme un S. Avec grand plaisir j’ai découvert son nom sur une plaque ; elle s’appelle LA RUE TOURNETTE et ce sont les écoliers de Guillestre, en bons observateurs, qui l’ont baptisée, comme bien d’autres, à la demande de la Mairie dans les années 2000 ; nombre de rues alors n’étaient pas nommées. Plus loin, j’ai relevé sur mon carnet cette information donnée par une pancarte de la rue Sani. Je la transcris ici : EN 1815, DANS CETTE MAISON, NAPOLÉON BONAPARTE AURAIT PU SÉJOURNER LORS DE SA CHEVAUCHÉE SUR LA ROUTE DES ALPES S’IL ÉTAIT PASSÉ PAR GUILLESTRE… Amusant, non ?… et aperçu un panneau oublié après la foire de la Saint Luc de ce 16 octobre où les éleveurs négocient les bêtes. Bon, là, je vais insérer la photo — trop difficile pour moi à transcrire, ce tableau – !qui donne l’arbre généalogique de trois vaches taurines, HAVANE HYPNOSE HISTOIRE. Je les revois, vraiment des merveilles, fines, musclées, pieds agiles et yeux fardés de noir.

Près du monument aux morts, un panneau, organisé en trois parties, a retenu mon attention. La plus haute sur papier bleu marine indique : OBJECTIF ZÉRO DÉJECTION CANINE… La suivante (beige) : AYEZ LE BON RÉFLEXE JE RAMASSE LES DÉJECTIONS DE MON ANIMAL… La dernière (verte) : POUR UNE VILLE PROPRE UTILISEZ LE DISTRIBUTEUR DE SACHETS… Et en dessous l’appareil à sachets. J’en ai récupéré deux, de sachets, au cas où… quand je me promène avec Roulotte.

Après un demi-tour, je me suis approchée du cimetière. J’ai hésité avant d’entrer après avoir lu l’annonce qui suit : AUCUNE CONSTRUCTION NE DOIT ÊTRE ENTREPRISE SANS L’AUTORISATION DE LA MAIRIE. Ben, voyons, je ne creuserai pas ma propre tombe sans permission ! J’ai marché le long des travées fleuries de chrysanthèmes ; la Toussaint est proche. Et au milieu des fleurs, j’ai repéré des plaques si drôles en ce lieu sévère. Celle-là, comme un livre ouvert, porte sur la page de gauche : À NOTRE PAPY CANARD AVEC TOUT NOTRE AMOUR TES PETITS ENFANTS ET ARRIÈRE PETITS ENFANTS et le dessin d’un canard et de son caneton… et sur la page de droite la silhouette d’un pâtissier avec toque sur la tête et rouleau à pâtisserie à la main, puis AU REVOIR PAPY BATEAU, et gravé dans le marbre gris, un pot débordant d’ustensiles de cuisine… Plus loin, une autre plaque joyeuse, ciel bleu d’azur, filet or retenant entre ses mailles un énorme ballon de foot, de quoi distraire le mort dans sa tombe et par ces quelques mots en lettres dorées NOUS NE T’OUBLIERONS JAMAIS, lui permettre de dormir en paix.

La pluie tournait aigre et des nuages de plus en plus sombres me signalaient qu’il était temps pour moi de me mettre à l’abri, et tiens, d’écrire les mots des autres. J’ai derrière moi tiré la porte du cimetière. Elle grinçait.

4 commentaires à propos de “#photofictions #08 | Des mots tracent mon chemin”

  1. Bonjour Christiane
    Merci beaucoup pour cette balade signalétique dans Guillestre. On suit avec toi les ruelles et les rues. On découvre et décrypte les panneaux et les affiches. Ça en dit beaucoup sur cette très belle petite ville !

  2. C’est vrai, agréable promenade, pleine d’humour et de légèreté. Vivifiante. Merci pour ce bol d’air.

  3. J’ai aimé ce parcours de mots, leur heurt, leur répétition, leur combinaison, leur variation.