#transversales #07 | lacunaire (sans se retourner)

Iom devant un clavier *
Où l’on voit Iom très vieille écrire tous les matins de ses nuits. Dans le passé du passé de Iom ça s’était déjà produit, même très tôt dans sa vie; Iom adorait les histoires après elle écrivait des trucs comme des débuts d’histoire avec des dessins tout de même. Iom avait essayé de tenir un journal où on écrit tout ce qui est arrivé avant et tout ce qu’on pourrait rêver pour après et des idées qu’on se faisait du monde… les pages se couvraient de bonhommes et de phrases qui lui arrivait à l’oreille; c’était un carnet journal rose à cadenas offert pour sa fête fille, elle avait un peu gribouillé pour faire moins rose. Plus tard elle aurait l’idée d’un roman à thèse genre anti raciste avec une grande histoire d’amour impossible c’était l’époque de la cour de la rue d’Alésia, elle s’appelait de son nom de baptême, on l’aimait bien parce qu’elle mettait le bazar dans la classe, elle était très drôle et tout le monde riait même la pédagogue dans sa robe tissée main riait en mettant sa main devant sa bouche pour cacher sa dent brisée : en vrai Iom souffrait, en vrai elle aurait voulu mourir elle avait ouvert un laboratoire secret pour expérimenter la mort dissolvant lame de taille crayon colle… « mais je rigole je te fabrique une histoire et tu y crois ? « . Ce qui est vrai c’est que Iom aurait dû s’appeler Nicolas mais Nicolas n’était pas né, ce qui est vrai aussi c’est que Natacha serait son nom d’émancipation à consonance Dostoïevskienne (elle te dira qu’elle a des origines judéo-ukrainienne elle aime croire à cette histoire c’est sa petite vraie fiction comme matière à broder quand sur une photographie c’est bien Tatiana de Tiraspol qui l’enserre de ses mains de pianiste avec un air contenu de dégoût). Un jour beaucoup plus tard Iom pensera qu’Anna ou Colia (Betz ou Seliger) lui vont comme un nom de passage à mettre sous un titre … Oui tous les jours elle se lève disons vers 5 heures et elle tape des lettres qui forment des mots en phrases … elle a des taches brunes sur les mains et la lumière de l’écran lui brûle les yeux, elle est là quelques heures puis elle descend.
* Iom c’est potache comme nom? non? — oui elle sait —, Plume c’était déjà pris et Emma aussi . Elle avait pensé à Rose : Comme Rose sait la vie ? ( peut-être) ou Rose Lavis ( les lavis de qui? )… « des couleurs étendues d’eau » du papier de l’encre et de l’eau pour effleurer une rose ( et Rose elle a vêcu …)

« écrier à quoi ça sert a tapé Iom dans la précipitation (on garde la mauvaise frappe) mais écrire est-ce s’écrier ?
c’est venu comme ça un jour un à l’aube il a fallu faire quelque chose et c’est venu les mots … ( et l’enfant qui s’écriait cachée derrière sa main : « elle est pas là moi « ) . Moi je crois qu’écrire ça sert à rien a dit Iom, parce que Iom n’a pas d’idée de ce que peut-être la littérature ou la poésie ou la peinture. Moi dit Iom j’écris pour me défaire, pour me diluer : j’écris aussi pour lire. moi je pense que Iom dit n’importe quoi … Moi je pense que Iom est paresseuse, dans tous les cas Iom ne peut pas se passer de se mettre devant le clavier… Moi si je lis deux phrases de Kafka même pas plus je me dis que ça sert à voir dessous ou au-de-là moi si je lis Fouillis de fleur je vois enfin le bazar des fleurs Moi si je lis : … pleuré rose au cœur de … il me semble que…

où l’on ne verra pas que la vie d’écrire est semée d’embûches et pas de tout repos ; où l’on ne verra pas Iom se tirer de deux mauvais pas ni s’enliser
( où l’on ne verra pas que la vie d’écrire qui avait commencé comme on décide sans l’avoir vraiment décidé de croquer dans une pomme pourrait faire passer du paradis en enfer (par impatience dit-on ou par lucidité) qu’il ait plu ou non ce jour là ne change rien au vertige même si la météorologie a des effets non négligeables sur le papier qui peut se mettre à gondoler les jours de grande humidité — tiens ça sonne comme humilité—, sauf que Iom écrivait au clavier.
Où l’on ne verra pas que la vie d’écrire qui aurait pu commencer comme un simple jeu mimétique (comme on aime à reproduire ce qui nous a porté au-de-là de nous même) se transforme en supplice — en exagérant beaucoup à la manière Russe— au point d’en oublier la soupe et de mettre le feu (une petite fumée d’un presque feu) où l’on ne verra pas que…

Iom et la difficile question du réel
Iom a mis en épigraphe de son futur recueil (elle s’y croit un peu Iom c’est important de s’y croire un peu, juste finir une chose ), ce sont des nouvelles et ça s’appelle Pluie(s) , une citation apocryphe: « le réel est lacunaire et la réalité court après ( ou bien c’est l’inverse) ». Elle a collé ça au début de ses Pluie(s) Iom? Ça peut encore changer cent fois, ce recueil elle n’en finit pas de le défaire, un peu comme Pénélope avec sa tapisserie — c’était pas mal comme nom ça Pénélope (pourquoi pas cyclope) sauf que dans le réel ma tante anglaise s’appelle Pénélope et son chat c’est Télémaque. Ça ferait un bon début de nouvelle ! Ma tante ? mais tu es sérieuse ? il n’y a pas de mauvais sujet disait mon prof d’art plastique, et il te fixait avec ses yeux bleus aciers : «  tu peux passer ta vie sur une pomme tu n’épuiseras ni le réel ni la peinture »  il disait  monsieur Faure, oui Faure comme l’autre ( oui c’est le vrai nom)… On ‘s’égare tu ne crois pas? Réel/réalité c’est quoi ta nuance ? Demande à Iom — elle va revenir, ne t’inquiètes elle est allée cueillir de l’ail des ours en forêt.  Donc en ouverture Iom nous balance sa phrase abstraite qui envoie direct dans l’aporétique, elle feinte pour raconter en toute candeur ses (petites)— oui commence par enlever l’adjectif— histoires imaginaires ? Y’a quand même lacunaire dans la phrase (dans les synonymes on trouve « insuffisant » c’est le truc qui était noté en marge de mes rédactions moi ça m’a marquée) … J’ai raconté l’autre jour à Iom, et tout à fait sérieusement (vrai de vrai), qu’à chaque fois que j’essaye d’écrire à partir de quelque chose qui m’est réellement arrivé ça sonne faux, pour le coup c’est très subjectif, — ce qui ne veut pas dire que ce qui ne m’est pas arrivé concrètement va sonner juste—, si je prenais en copie les histoires de autres façon journaliste ou biographe ça m’embarrasserait sans doute tout autant —, alors que quand j’écris ce qui arrive impromptu dans ma tête —ces histoires-, comme ces histoires qui se racontaient dans l’obscurité de la chambre, des choses qui se tiennent sur le  fil de la vraisemblance et toujours un peu hors du temps, il me semble que je peux avancer et que je respire : … Je n’y comprends rien tu t’embrouilles : disons que j’ai besoin de rejoindre la réalité par la fiction… Nan Goldin disait l’autre jour dans le film: on a tous des histoires à raconter mais aujourd’hui je veux retrouver mes vrais souvenirs… Iom elle aime travailler la matière des souvenirs mais dans l’écart des histoires Iom elle aime retrouver le réel mais dans la distance du rêve ( elle ne rêve jamais et elle n’a pas de souvenirs) Iom écrit pour se souvenir de ce qu’elle a oublié .

"Dans une lumière et un halo blanc très beau , je couchais des nouveaux nés morts dans de grandes boîtes les uns sur les autres et un homme aveugle à côté de moi, leur mettait des couches... tout était blanc et lumineux. Étrange rêve ! Qui fait suite aux émissions sur la fin de vie, vues hier soir vers 1h du matin! Ce n'était pas triste." Hier Iom a reçu ce SMS elle ne sait pas encore comment (mais elle sait) que ce fragment de réel qui s'est affiché sur l'écran retombera en pluies. 
Moi cette nuit je ne dormais pas j'ai vu danser les morts de ma vie ils étaient ensemble et séparés, cependant ce n'était pas triste

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

3 commentaires à propos de “#transversales #07 | lacunaire (sans se retourner)”

  1. Vraie fiction vraie. Merci Nathalie Holt de nous tenir ainsi, de nous embrouille si bien, « sur le fil de la vraisemblance ». C’est grand, profond, immense. Merci, merci de « rejoindre la réalité par la fiction ».