transversales #02 | le tremblement de la feuille blanche et fin

Deux livres qui se répondent. Deux auteurs séparés d’un demi-siècle, l’une très égocentrée sur sa pratique de l’écriture, l’autre, affable sur les raisons de la lecture. Deux livres qui ne se connaissent pas mais qui se répondent, qui ouvrent des fenêtres sur des paysages si différents et si complémentaires. Deux livres sans autre histoire que la littérature. Deux livres qui se poussent l’un et l’autre dans les bras de la même solitude, avec des regards différents.

Amérique-du Sud. Entre Honduras, Brésil et Guyane, pendant que la Première Guerre Mondiale sévit en Europe, le ténébreux marin qu’on croirait issu de la plume de Joseph Conrad, vit des aventures dans le secret du vaudou aux confins de la folie. Des dessins en noir et blanc parfois sans décor engoncés dans des cases soigneusement délimitées pour une culture de l’imaginaire sans bornes. La magie des histoires qui s’évaporent de quelques feuilles de papier noircies qui tremblent.

Voyager au gré des mots. Oublier l’ordre alphabétique et s’abandonner à ce grand désordre des acceptions où fomente un terreau poétique et imaginaire. Laisser au vent du hasard le soin de tourner les pages, de caresser des yeux les lignes remplies de signes cabalistiques, d’explications, d’exemples et s’arrêter sur un mot qu’on va éplucher comme un fruit délicieusement mûr. Fermer les yeux et poursuivre le rêve en cavalcade. Puis saisir à nouveau l’épais volume et se laisser aller une nouvelle fois. 

Des villes aux noms de femmes, construites de désirs et de peurs. Des villes imaginaires comme une succession de rêves pour nourrir une utopie sans limite pleine de vertus et de sagesse. Des rêves de constructions humaines, les villes, faits par des humains dans une dimension toute aussi sociale que poétique. Un livre que je prends comme un refuge, comme une évasion intime, un voyage exotique au plus plus profond de moi.

C’est une suite de tableaux. C’est un livre, bien sûr, mais présenté sous la forme d’une suite de tableaux à un instant précis. Un immeuble parisien de huit ou dix étages. Un roman à étages, lui aussi. Des histoires de personnes qui ouvrent sur des situations, sur d’autres personnes, sur d’autres situations. Un roman avec un nombre infini d’histoires qui se déplient, se replient, s’entrecroisent, se mêlent, s’abandonnent. Le roman de tous les romans. Le puzzle de tous les puzzles.

Linguiste reconnu, il part en avion pour participer à un congrès à Helsinki. Mais il se trompe d’avion et atterrit dans un pays, une ville dont il ne comprend ni la langue, ni les habitudes de vie. Son argent de poche s’épuise et, lentement, il sombre entre folie et espoirs, en essayant de comprendre ce monde pour s’en extirper. Avec humour, les détails de la vie prennent une toute autre signification.

Jeune fermier passionné de baseball, il construit un terrain près de sa maison dans un champ de maïs. Il va ensuite inviter en rêve un joueur légendaire, disparu depuis plusieurs années. Lentement, son rêve de gamin va se tisser, se développer, prendre de l’ampleur jusqu’à envahir toute l’histoire. La construction d’un rêve pas-à-pas qui prend la place du réel avec la complicité du lecteur.

L’écriture et la vie. Le succès et l’humiliation, le mépris et l’oubli. Ce n’est pas un choix binaire, c’est un voyage contre le vent. Trois parties, trois postures d’écrivain, toutes différentes. En suivant la vie d’un écrivain oublié, la question de la création littéraire se pose comme un amoncellement de nourritures. L’histoire coule dans une écriture vivace et drôle. Puis déborde, contourne, excède, paresse, repart et l’écriture s’assombrit, s’assouplit, devient réflexive. Une poursuite de textes et d’histoires.

L’identité et la perception du réel, deux questions centrales. Deux problématiques qui se développent autour d’une centre de gravité énoncé comme une anomalie. Une multitude d’arcs narratifs qui se déplient dans une logique complexe mais implacable. Avec beaucoup d’humour, ces postulats qui sous-entendent la (notre ?) vision du monde sont ébranlés dans plusieurs styles d’écriture différentes, de la science-fiction, du policier, du roman politique jusqu’à une littérature blanche plus classique. Et une galerie de personnages dédoublés avec tant d’horizons différents.

C’est l’histoire d’un homme. Une histoire que j’ai racontée alors que j’étais journaliste et qui m’a profondément marqué. L’histoire d’un jeune homme ordinaire devenu vieil homme ordinaire mais qui a vécu des choses extraordinaires entre ces deux âges. Le départ volontaire en Arménie en 1947, la construction d’une identité entravée, l’accès à la célébrité dans un autre monde, l’héroïsme non voulu, la liberté retrouvée, la libération au prix de l’anonymat, le retour en France près de vingt ans plus tard, redevenir un inconnu. Et se faire rattraper par son passé.

A propos de JLuc Chovelon

Prof pendant une dizaine d'années, journaliste durant près de vingt ans, auteur d'une paire de livres, essais plutôt que romans. En pleine évolution vers un autre type d'écritures. Cheminement personnel, divagations exploratives, explorations divaguantes à l'ombre du triptyque humour-poésie-fantastique. Dans le désordre.

6 commentaires à propos de “transversales #02 | le tremblement de la feuille blanche et fin”

  1. Merci Helena. Au moment où tu as laissé le commentaire, la troisième est « La plus secrète mémoire des hommes ». L’histoire est autre que ce que je raconte mais c’est vraiment ces différentes postures de l’écrivain que j’ai retenues. Quant à la dernière, c’est une rencontre il y a une vingtaine d’années lorsque j’étais journaliste. Le genre d’histoires qui repousse la fiction.

  2. Merci ! Je vais aller voir.
    « Le genre d’histoires qui repousse la fiction. » Merci aussi pour cette belle description !

  3. Superbe l’article et incroyable la vie de Jacques Haspekian. Quand on pense qu’aujourd’hui on fait un feu d’artifice pour même pas la moitié de ce qu’il a fait !